4/ l'intérêt sur les bénéfices de certain-e-s cheffes

a- les "intéressées"

Au cours des premières années du Grand Bazar, seul Magnier, le caissier principal, est intéressé aux bénéfices de la société, à hauteur de 3%. En 1887, 2% sont accordés à Jacquet, inspecteur principal, "afin de stimuler son zèle et d'augmenter son autorité dans la maison"932. Mais cette mesure est exceptionnelle puisqu'après son départ, en 1890, son successeur n'a pas droit à cet intérêt. Il faut ensuite attendre 1892 pour que Fort, chef du rayon tissu, se voie octroyer 1% sur les bénéfices de la société, lorsqu'il est nommé sous-directeur933.

En 1895 se produit un important changement dans la répartition des 20% de bénéfices. D'abord, le directeur démissionne, son poste est supprimé et son pourcentage (la part la plus importante : 10%) est, par conséquent, laissé libre. Deux nouveaux sous-directeurs sont nommés aux côtés de Fort : Magnier, le caissier principal et Lefevre, chef du rayon jouets, qui doivent tous les deux recevoir 1% de bénéfices à ce titre934. Les 3% que recevait Magnier auparavant lui sont alors supprimés. Ensuite, au moment où il leur propose des contrats de travail de cinq ans, le conseil d'administration décide que "les anciens chefs de rayon de la maison auront, en plus de leur situation actuelle, un intérêt de 0,5% sur les bénéfices nets"935. Sept chefs de rayons sont cités, sept hommes : Espinasse (papeterie), Rousseau (bijouterie), Martinet (parfumerie), Vizier (ménage), Gobert (porcelaine), Cornillon (bonneterie) et Péron (meubles). Restent donc quatre chefs de rayons non intéressés, dont les deux femmes, Cauvin à la lingerie et Maury à la mode. On sait très peu de choses d'elles : sont-elles entrées très récemment au Grand Bazar (il ne s'agirait pas d'"anciennes" cheffes de rayon) ? Aucune femme ne sera de toute façon intéressée sur les bénéfices du magasin avant la Première Guerre mondiale. On ne sait rien non plus du chef du rayon chaussures, mais Dirat, chef du rayon confection pour hommes, est, lui, entré en août 1894, soit moins d'un an avant la décision du conseil936. Les pourcentages devenus libres à la mort de Magnier en 1898, puis aux départs de Vizier, renvoyé en 1899, et de Cornillon en 1903, sont attribués à des administrateurs. Il faut attendre 1908 pour que de nouveaux chefs soient intéressés : Martineau, qui a pris la succession de Vizier au rayon ménage, Roudier, qui a pris celle de Cornillon à la bonneterie et Mirou, caissier principal depuis 1901. Le premier a droit à 0,5% et les seconds à 0,25%937. En 1913, deux autres chefs sont intéressés. Lagarde, qui, après avoir été le second de Gobert, l'a remplacé en 1908 et Pochet, promu la même année chef du rayon jouets, reçoivent tous les deux 0,125%938. L'ancienneté et le fait d'être un homme sont donc des conditions nécessaires mais non suffisantes à l'attribution d'un pourcentage sur les bénéfices de la société avant la guerre.

Dans les années 1920, le système, qui consiste à intéresser de nouveaux ou nouvelles cheffes lorsque des parts se libèrent, se perpétue. Les pourcentages distribués varient toujours de 0,125 à 0,5%, mais des femmes sont désormais concernées, ainsi que des chefs de bureau aux côtés du caissier principal. En revanche, les chefs de l'expédition, des garçons et des ouvriers en sont toujours exclus. Hélène Flacheron, cheffe de la mode, a droit à 0,125 % en 1921939, comme, deux ans plus tard, Gauthier, caissier principal, et deux autres anciens chefs de bureau, Cusset et Geindre940. Henriette Grimaud, qui est à la tête de la parfumerie et de l'alimentation, reçoit 0,25% en 1925941. La grande stabilité des cheffes de rayon et l'absence ou presque de nouvelles embauches après la guerre (chacun-e cumulant alors la direction de plusieurs rayons) font que toutes les cheffes sont progressivement intéressées au cours des années 1920, à l'exception de Hector Imbert, qui est pourtant à la tête du rayon chaussures depuis le 19e siècle. Il meurt au début de l'année 1931. Au début des années 1930, seuls Bertrand Roques, chef du rayon bonneterie depuis 1925 et qui hérite des chaussures en 1931, et Louis Duchet, promu chef des meubles et des jouets en 1930, n'ont pas droit à une part directe des bénéfices de la société et touchent la prime d'ancienneté.

Notes
932.

ADR, 133J002, PV du CA du 29 juin 1887 et PV du CA du 13 novembre 1888.

933.

ADR, 133J003, PV du CA du 16 juin 1892.

934.

Idem, PV du CA du 1er juin 1895 et du 23 novembre 1895.

935.

Idem, PV du CA du 1er juin 1895.

936.

ADR, 133J190, RES1n°9, entré le 21 août 1894.

937.

ADR, 133J004, PV du CA du 23 septembre 1908.

938.

ADR, 133J005, PV du CA du 2 août 1913.

939.

ADR, 133J006, PV du CA du 25 août 1921.

940.

Idem, PV du CA du 3 octobre 1923.

941.

Idem, PV du CA du 26 août 1925.