1/ des retraites : 1893-1910

a- la création de la caisse de retraite

Ce sont les statuts de la caisse de retraite du Bon Marché qui sont retenus pour servir de base à ceux du Grand Bazar945. En 1893, deux caisses existent dans le grand magasin parisien, une caisse de prévoyance, fondée en 1876 et alimentée par une somme prélevée sur les bénéfices nets de l'année et une caisse de retraite, apparue 10 ans plus tard. Contrairement à celles de la Samaritaine en particulier, elles fonctionnent uniquement avec des versements patronaux946. Préparés par un "homme de loi", les statuts de la caisse du Grand Bazar sont prêts en juin 1894947. Ils rappellent que cette caisse ne sera alimentée par aucune retenue sur les salaires ou appointements du personnel, mais uniquement par les dons qui pourront lui être faits et les sommes que le conseil d'administration voudra bien prélever sur les 20% de bénéfices à sa disposition, "sommes qui ne constitueront pas un droit pour la société de la caisse de retraite, mais simplement une faveur du conseil d'administration"948. D'ailleurs, lorsque l'emploi des 20% est modifié, en 1895, la part attribuée à la caisse est ramenée de 4 à 3%949.

L'article 1er précise ensuite que la caisse de retraite est constituée en faveur des employées du Grand Bazar qui n'ont ou n'auront aucun intérêt, soit sur les bénéfices généraux, soit sur les affaires générales de la maison. Les droits à la retraite sont ouverts aux hommes âgés de plus de 45 ans et aux femmes de plus de 40 ans, ayant "quinze ans de présence au Grand Bazar depuis sa création" (article 4). Cette clause est effarante si l'on songe que les statuts sont adoptés moins de huit ans après l'ouverture du magasin. Aucune pension ne sera donc versée avant l'automne 1901. Les salariées qui démissionnent ou sont licenciées avant d'avoir atteint le temps de service prévu perdent leurs droits (article 7). La pension versée est viagère. Son montant est calculé à partir d'une annuité fixée par le conseil d'administration de la caisse et ne dépend donc pas du poste occupé par les salariées (articles 10 et 11). La pension doit s'élever au minimum à 200F et au maximum à 1 000F, mais le conseil de la caisse se réserve le droit de déterminer au cas par cas le chiffre de chacune, sans qu'aucune réclamation ne soit possible. Quoiqu'intitulée "caisse de retraites" dans les statuts950, "des secours pourront aussi être accordés aux employés et à leurs veuves et orphelins" (article 12).

Les employées ayant au moins trois ans de présence dans la maison composent l'assemblée générale de la caisse (article 21). Elles et ils élisent six administrateurs ou administratrices, qui doivent travailler depuis au moins cinq ans dans l'entreprise (article 13). Mais le conseil d'administration de la caisse est composé de huit autres membres : cinq administrateurs de la société Grand Bazar de Lyon, le directeur et le sous-directeur et les deux employées ayant le plus gros intérêt, soit sur les bénéfices, soit sur les affaires générales de la maison. Les seules indications que l'on ait sur les membres élues du conseil de la caisse datent de 1904951. Rodet, qui en était vice-président, démissionne alors, Provent prend sa succession et Rollin fait son entrée au bureau. Rodet est alors salarié depuis plus de 12 ans au Grand Bazar, chef du rayon bonneterie, et n'est pas intéressé à ce moment-là952. Son remplaçant, lui aussi employé depuis au moins 11 ans, est chef de la correspondance953. Quant à Rollin, il est responsable du "cabinet noir" du rayon photo et son père a travaillé plus de 10 ans au Grand Bazar954. Ces salariés élus ne font donc pas partie du "personnel inférieur" auquel, selon l'expression de Paul Perrot – adminstrateur-délégué du Grand Bazar –, est réservé le bénéfice de la caisse de retraite955.

Notes
945.

ADR, 133J002, PV du CA du 30 septembre 1893.

946.

Michael Miller, ouvrage cité, p.93-94 et p.139.

947.

ADR, 133J003, PV du CA du 29 juin 1894.

948.

Idem, PV du CA du 21 novembre 1893.

949.

Idem, PV du CA du 23 novembre 1895.

950.

Christophe Matrat, maîtrise citée, annexe IV, p.XLI à XLIV : statuts de la caisse de retraite dont le document original n'a pas été retrouvé dans les archives du Grand Bazar.

951.

ADR, 133J004, PV du CA du 31 mai 1904.

952.

Idem, PV du CA du 20 décembre 1904.

953.

ADR, 133J003, PV du CA du 11 juillet 1899 et ADR, 133J004, PV du CA du 12 juin 1906.

954.

ADR, 133J003, PV du CA du 18 février 1903.

955.

ADR, 133J002, PV du CA du 27 juin 1893.