2e PARTIE : 1936-1951

Entre 1936 et la fin des années 1940, les règles de gestion de la main-d'oeuvre par les entreprises sont entièrement redéfinies. Elles remettent directement en cause deux des fondements du système en vigueur avant 1936 au Grand Bazar, l'absence de protection des emplois et la faiblesse des niveaux de rémunération. Les bouleversements politiques de la France pendant cette période scandent directement les rythmes d'une évolution qui n'est, par conséquent, pas linéaire. Deux régimes amorcent, dans des domaines différents, des mutations radicales concernant le fonctionnement du marché du travail, le Front populaire et Vichy. Au printemps 1936, l'arrivée au pouvoir du rassemblement de Front populaire dans un contexte de très forte agitation sociale se traduit par l'adoption immédiate, dès le mois de juin, de toute une série de mesures sociales. Deux d'entre elles ont une importance déterminante dans l'évolution des modes d'emploi du Grand Bazar, la limitation de la semaine de travail à 40 heures et la signature des conventions collectives, qui signifie, en particulier, que les employeurs et employeuses doivent négocier des grilles de rémunération avec les salariées. Ce renforcement du droit du travail est cependant mis en suspens à la fin de l'année 1938, lorsque, après les accords de Munich, la France se lance dans la préparation de la guerre. Le régime de Vichy s'attaque à un tout autre problème que la protection des emplois. L'ordre social nouveau que l'Etat français rêve d'installer passe par la restructuration du monde du travail, dont il définit le programme dans la Charte du travail. Malgré les pouvoirs que l'Etat détient sur la totalité du fonctionnement du marché du travail – sur la fixation des salaires, sur les déplacements de main-d'oeuvre entre les entreprises –, son action en la matière est strictement encadrée par les exigences allemandes, qui imposent, en particulier, un blocage total des salaires. Depuis la défaite française de l'été 1940, l'économie française est, en effet, étroitement soumise aux besoins de la production de guerre du Reich. Le régime de Vichy ne parvient donc à mettre en oeuvre son projet de restructuration des hiérarchies professionnelles qu'en 1943. Les réquisitions de main-d'oeuvre, en particulier la loi sur le Service du travail obligatoire, exacerbent le mécontentement de la population et contraignent alors les autorités allemandes à accepter des mesures qui, sans provoquer de véritables augmentations de salaires, doivent mettre de l'ordre dans la hiérarchie des rémunérations. Cette entreprise, que Vichy ne peut mener à son terme avant la Libération, est alors poursuivie en 1945 et donne lieu aux classifications dites "Parodi". Les années 1945-1950 n'amènent aucune nouvelle modification profonde des règles de fonctionnement du marché du travail. Mais, outre l'achèvement de la réorganisation professionnelle entamée par Vichy, cette période est celle de la remise en place progressive de la législation du Front populaire concernant le temps de travail et les conventions collectives. En 1949, la limitation de la semaine à 40 heures entraîne de nouveaux changements dans les modes d'emplois du Grand Bazar, comparables à ceux de 1936. L'année suivante, la liberté salariale est rétablie, qui provoque l'ouverture de nouvelles négociations pour la signature de conventions collectives.

Pendant toute la période 1936-1951, les changements politiques remettent en cause régulièrement les règles de fonctionnement du marché du travail. Au Grand Bazar, comme sans doute dans de nombreuses entreprises françaises, la gestion de la main-d'oeuvre s'adapte alors à chacune des nouvelles contraintes qui sont imposées sans qu'un système ne s'établisse durablement. Il s'agit, en outre, d'années extrêmement difficiles pour le magasin, dont le souci principal est la survie. Une nouvelle période commence alors en septembre 1951, lorsque le Grand Bazar décide, pour résoudre ses problèmes d'approvisionnement, de s'affilier à la centrale d'achat des magasins Prisunic. C'est alors seulement dans le nouveau magasin que toutes les règles redéfinies entre 1936 et la fin des années 1940 sont véritablement installées.