A/ les résultats du magasin : la chute

Les difficultés rencontrées par le magasin depuis le début de la décennie se sont traduites par une diminution des bénéfices plus précoce que celle du chiffre d'affaires, dès 1929. La chute est brutale et la société est déficitaire trois années consécutives, de 1934 à 19361027. Pour faire face à ces difficultés, la direction décide une réduction des locaux, qui permette de limiter deux postes de dépenses importants, les salaires et les charges locatives. Les réserves sont les premières concernées. Toutes celles qui étaient situées à l'extérieur du magasin sont rassemblées à Vaise en 1935 et 19361028. Puis vient le tour de l'espace de vente, à commencer par les magasins du 2e îlot (situé entre les rues Tupin, Grôlée, Ferrandière et la rue de la République). A l'été 1937, le rayon parfumerie, situé au 43 de la rue de la République, est ramené dans le magasin principal et le local est immédiatement loué à une agence de voyage1029. A la fin de l'année 1938, les magasins situés aux 27 et 29 rue Ferrandière sont eux aussi fermés. Les rayons quincaillerie et porcelaine sont en partie transférés aux 4 et 6 de la rue Grôlée, dont les loyers sont renégociés à des conditions plus favorables1030. Grâce à ces mesures, le magasin renoue avec les bénéfices en 1937 et 1938, même s'ils ne dépassent guère le million de francs (en francs constants de 1986).

Mais en 1939, le Grand Bazar est à nouveau déficitaire, les pertes du magasin sont même sans précédent : presque 4 millions de francs (en francs constants1031). Des mesures drastiques sont alors prises pour éviter la faillite ou le sort des Deux Passages, racheté par le Printemps cette année-là1032. Doivent ainsi être ramenées dans le bâtiment d'origine (au 31 rue de la République) toutes les réserves extérieures et tous les rayons du deuxième quadrilatère. Différents aménagements sont alors nécessaires pour les accueillir. Au début de l'année 1940, le quatrième et dernier étage du magasin principal ainsi qu'une partie des sous-sols sont soustraits à la vente et transformés en réserves, modification qui entraîne la construction d'un monte-charge du sous-sol aux étages pour faciliter le transport de marchandises entre les réserves et les rayons1033. Le transfert des rayons, qui s'effectue progressivement depuis le début de l'année, s'accélère à l'automne, après la défaite française. En un mois, en octobre, sont abandonnés tous les magasins de la rue Grôlée, où étaient installées la chaussure et la bonneterie, ainsi que ceux qui restaient rue de la République, le linoléum et la photographie1034. Tous ces locaux sont loués ou vendus au plus vite1035. De l'îlot secondaire, seul le bâtiment situé 38 rue Tupin est conservé. Directement relié aux sous-sols du Grand Bazar, il est réaménagé pour abriter les dernières réserves encore à Vaise ainsi que les services d'expédition et de réception des marchandises, dont l'activité diminue1036. A nouveau, la réduction de la taille du magasin et des frais qui lui sont liés permettent au Grand Bazar de retrouver des résultats positifs dès l'année 1940.

L'espace de vente, qui, à la fin de l'année 1940, s'étend des sous-sols au 3e étage de l'immeuble principal n'a pourtant pas fini de rétrécir. L'occupation de plus de la moitié du pays, le blocage des échanges entre les zones, le pillage des industries, de leurs machines comme leurs stocks rendent difficile le réapprovisionnement des magasins1037. A la fin de l'année 1940 et pendant toute l'année 1941, chaque réunion du conseil d'administration revient, dans une longue litanie, sur les pénuries de marchandises, qui touchent progressivement et durablement l'ensemble des rayons. Pour les fêtes de fin d'année, le rayon des jouets ne peut être correctement achalandé1038 ; le rayon ménage, sur lequel le Grand Bazar avait fondé sa croissance vingt ans plus tôt, connaît de grosses difficultés1039, tout comme celui des meubles, des articles de jardin ou du linoléum1040. Le bar, qui ne dispose pas en quantité suffisante des ingrédients nécessaires à la fabrication des pâtisseries, doit être fermé1041. Le coup de grâce est aussi donné aux rayons nouveautés, malmenés depuis la fin des années 1920. En février 1941, une loi est promulguée pour le rationnement des produits textiles1042, qui signifie, au Grand Bazar, la suppression de la vente des tissus, des articles de mode et de confection1043. Ne restent que des articles plus courants, "pantoufles, espadrilles, bleus de travail, sous-vêtements". La conséquence de toutes ces pénuries de marchandises est la fermeture rapide, en un an, de tous les étages du magasin. A la fin de l'année 1941, les jouets et les meubles trouvent une place au deuxième étage et le troisième est abandonné1044. Puis c'est au tour du deuxième niveau au printemps 1942 et du premier en fin d'année1045.

En 1942, la surface du magasin est au plus bas : elle est revenue aux dimensions qui étaient les siennes au début du 20e siècle. L'espace libéré est rentabilisé par des locations. La Croix-Rouge occupe le deuxième étage du magasin de 1943 à 19451046 et une société se sert d'une partie du troisième étage comme entrepôt1047. Mais même réduite au minimum, la surface de vente n'est pas toujours investie avec une grande densité. Les sous-sols, en particulier, sont à plusieurs reprises abandonnés puis réutilisés pour la vente entre 1945 et 1950. Fermés temporairement en 19451048 pour être rénovés, ils sont réouverts au milieu de l'année suivante avant d'être remplacés par le premier étage du magasin de manière à réduire la consommation électrique1049. Mais ils sont ensuite réaménagés et réouverts en 1949 et 19501050.

Si l'augmentation de la surface du magasin, dans les années 1910 et 1920 avait entraîné une multiplication des rayons, la réduction de l'espace de vente, pendant la période 1936-1943, ne s'accompagne pas d'une diminution aussi importante de leur nombre. Trois fusions de rayons seulement se produisent. Lorsque la photographie, qui était installée 35 rue de la République pendant les années 1920, est ramenée dans le bâtiment principal, elle devient un comptoir de la papeterie. Les deux rayons meubles sont ensuite réunis dans l'espace de vente puis fusionnés et le rayon chaussures, qui ne maintient son chiffre d'affaires qu'avec la vente d'accessoires, est intégré à ce qui est encore appelé la "bonneterie", où sont en fait vendus les derniers articles textiles1051. Contrairement à ce qui s'est passé au début des années 1930, lorsque Pariset a tenté de dynamiser l'activité du magasin par la vente de nouveaux produits et l'organisation de manifestations spéciales, l'état du marché et les pénuries pendant la guerre puis l'Occupation ne sont guère favorables à des innovations. Il n'y a donc aucune véritable restructuration commerciale du magasin, mais une simple atrophie des comptoirs qui existaient en 1930.

Notes
1027.

Françoise Loisel, maîtrise citée, p.80.

1028.

ADR, 133J008, PV du CA du 16 janvier 1935.

1029.

Idem, PV du CA du 10 août 1937.

1030.

Idem, PV du CA du 30 août, 20 septembre et 6 décembre 1938, du 10 janvier 1939.

1031.

Ce qui correspond à deux millions en francs courants, Françoise Loisel, maîtrise citée, p.78.

1032.

Idem, p.107.

1033.

ADR, 133J008, PV du CA des 27 janvier et 7 octobre 1940 et 133J013, PV du CD du 23 octobre 1940.

1034.

ADR, 133J013, PV du CD des 13 et 30 octobre 1940.

1035.

Idem, PV du CC du 10 janvier 1940, 15 février 1941, 7 juillet 1941, 13 août 1942 et 133J008, PV du CA du 27 février 1941.

1036.

ADR, 133J008, PV du CA du 30 août 1940 et 133J013, PV du CD du 6 septembre 1940.

1037.

Voir Eric Alary, "La Ligne de démarcation, une "frontière" économique ?", dans Olivier Dard, Jean-Claude Daumas et François Marcot (dir.), L'Occupation, l'Etat français et les entreprises, Paris, ADHE, 2000, p.53-67 et Yves Le Maner et Henry Rousso, "La Domination allemande", dans Alain Beltran, Robert Franck et Henri Rousso (dir.), La Vie des entreprises sous l'occupation, Belin, 1994, p.9-40.

1038.

ADR, 133J013, PV du CD du 30 novembre 1940.

1039.

Idem, PV du CD du 30 novembre 1940, PV du CC des 18 avril et 6 juin 1941.

1040.

Idem, PV du CC des 24 janvier et 16 juillet 1941.

1041.

Idem, PV du CD du 30 novembre 1940.

1042.

Loi du 11 février 1941 portant réglementation provisoire de la vente des vêtements et articles textiles, Journal Officiel du 13 février 1941.

1043.

ADR, 133J013, PV du CC du 16 juillet 1941.

1044.

Idem, PV du CC du 7 juillet et 7 novembre 1941.

1045.

Idem, PV du CC du 10 avril 1942, 22 octobre 1942 et du 6 janvier 1943.

1046.

Idem, PV du CA du 23 août 1943 et 133J014, PV du CC du 5 juillet 1945.

1047.

ADR, 133J013, PV du CC du 3 août 1944.

1048.

ADR, 133J014, PV du CC du 18 janvier 1945.

1049.

ADR, 133J009, PV du CA du 4 février et 9 septembre 1946, 133J014, PV du CC du 22 août et 21 novembre 1941.

1050.

ADR, 133J009, PV du CA du 14 février 1949 et 20 février 1950.

1051.

ADR, 133J013, PV du CD des 13 et 30 novembre 1940 et PV du CC du 10 avril et 16 juillet 1941.