B/ la direction

1/ 1936-1942 : la fin de l'ère Pariset

Les années 1936-1942, catastrophiques pour le Grand Bazar, correspondent à la fin de l'ère Pariset.

Martinet et Martineau sont codirecteurs du magasin depuis qu'en 1925, Fernand Pariset a obtenu du conseil d'administration d'être déchargé des fonctions qu'il occupait depuis 19121052. Au début de l'année 1937, deux administrateurs de la société démissionnent, l'un pour prendre sa retraite, l'autre pour raisons familiales. Paul Perrot, qui a été président du conseil d'administration entre 1903 et 1936, insiste pour qu'à leur place soient recrutés des "techniciens, particulièrement experts dans la conduite des affaires"1053. Loin de renouveler et de rajeunir l'équipe dirigeante, le conseil choisit Martinet et Martineau, deux fidèles serviteurs du Grand Bazar et collaborateurs de Pariset depuis plus de vingt ans, âgés respectivement de 71 et 68 ans, qui deviennent ainsi "administrateurs-directeurs"1054. Pariset, toujours administrateur-délégué de la société, a, jusque-là, conservé un pouvoir important dans la gestion du Grand Bazar. Mais vieillissant – il a 69 ans en 1937 – et de plus en plus fatigué, il l'abandonne progressivement à partir de 1937 et confie en particulier la direction du personnel à Martineau1055. Lorsque Fernand Pariset meurt, en mars 1939, la direction du magasin ne s'en trouve pas bouleversée. On attribue simplement deux adjoints à Martinet et Martineau et ces derniers se partagent désormais l'ensemble des responsabilités : le premier prend en charge la partie administrative et financière de la société et le second hérite, en plus du personnel, de la partie commerciale1056.

Les changements suivants sont directement liés au contexte politique. Lorsque la France entre en conflit avec l'Allemagne, le Grand Bazar se dote lui aussi d'une direction de guerre. "Etant donné les difficultés extérieures actuelles et les décisions rapides qu'elles nécessitent, le conseil décide de réaliser un commandement unique avec un seul responsable de l'affaire"1057. Martineau est ainsi nommé administrateur-directeur-général, mais il demande à Ravier et Vignon, deux administrateurs, de former avec lui un comité directeur chargé de liquider les affaires urgentes1058. Martinet conserve son titre d'administrateur-directeur. L'organisation de la direction doit à nouveau être modifiée un an plus tard, après la promulgation de la loi du 16 novembre 1940 sur les sociétés anonymes1059. La réforme principale de cette loi, qui s'inscrit dans la politique pétainiste de moralisation du fonctionnement du capitalisme, porte sur la responsabilité des administrateurs dans la conduite des affaires1060. En effet, les fonctions de directeur général ne peuvent plus être occupées que par le président du conseil d'administration ou par la personne qu'il aura choisie en dehors du conseil d'administration et dont il sera personnellement responsable. Au Grand Bazar, la composition du conseil d'administration est modifiée mais, une fois encore, la continuité l'emporte sur le changement. Vignon en devient d'abord le nouveau président mais, trop occupé par ailleurs, il ne souhaite pas devenir directeur du magasin. Il propose alors le poste de directeur général à Martineau, désormais âgé de 72 ans, qui démissionne alors de ses fonctions d'administrateur de la société pour pouvoir obtenir le poste. Il est cependant précisé qu'il continuera à assister "à tous les conseils d'administration à titre consultatif"1061. Martinet prend en revanche sa retraite à cette occasion et le conseil d'administration lui attribue une rente de 3 000F par mois. La loi implique aussi la suppression du comité directeur. Un simple changement de nom est en fait opéré, il devient le "comité consultatif". Ses membres restent les mêmes – Martineau, Vignon et Ravier – et il continue à jouer un rôle majeur dans la conduite des affaires, ses décisions étant simplement validées par le conseil d'administration.

L'âge de Martineau rend pourtant nécessaire un renouvellement de la direction. Au début de l'année 1941, Jaques Leray est embauché pour l'assister, comme sous-directeur. Il a 40 ans et était, jusque-là, directeur des Magasins Réunis à Marseille1062. Il prend très rapidement de l'importance dans la gestion du magasin, remplaçant Martineau dès la fin de l'année à la plupart des séances du comité consultatif. Le directeur général, fatigué, peut alors prendre sa retraite l'année suivante (il est cependant nommé administrateur). Leray lui succède, en août 19421063.

Notes
1052.

ADR, 133J007, PV du CA du 9 novembre 1925.

1053.

ADR, 133J008, PV du CA du 10 août 1937.

1054.

Idem, PV du CA du 21 septembre 1937 et 29 octobre 1937.

1055.

Idem, PV du CA du 7 février 1939.

1056.

Idem, PV du CA du 13 mars 1939.

1057.

Idem, PV du CA du 29 septembre 1939.

1058.

Idem, PV du CA du 16 octobre 1939.

1059.

Loi du 16 novembre 1940, Journal Officiel du 26 novembre 1940.

1060.

Voir Henri Rousso, "Vichy et les entreprises", dans Alain Beltran, Robert Franck et Henri Rousso (dir.), La Vie des entreprises sous l'Occupation, Belin, 1994, p.52.

1061.

ADR, 133J008, PV du CA du 23 décembre 1940.

1062.

Françoise Loisel, maîtrise citée, p.96.

1063.

ADR, 133J008, PV du CA du 27 février et 25 mars 1941, du 3 juillet et 22 août 1942 et 133J013, PV du CC du 23 septembre 1942.