b- le cadre des conventions collectives : les "branches" d'activité

la définition de "branches" dans le commerce

Les conventions collectives ont "pour objet de régler les rapports entre employeurs ou employeuses et employés d'une branche d'industrie ou de commerce déterminée pour une région ou pour l'ensemble du territoire"1151. Aucune définition des "branches" d'industrie ou de commerce n'est pourtant donnée. Le droit du travail emprunte là une notion à la statistique industrielle1152. Les branches d'activité, au sein desquelles sont classées les entreprises, sont en effet des outils créés par la Statistique Générale de la France dans un but précis, de recension et d'analyse économique et démographique1153 et sont donc le résultat d'une construction. Un décret d'avril 1936, qui officialise la "nomenclature des industries et professions" établie par la Statistique Générale de la France et utilisée pour les recensements quinquennaux1154, fournit un état de cette construction à la veille de la signature des conventions collectives. L'activité économique y est divisée en grandes "sections", qui dépendent du type d'activité des entreprises. Les industries extractives constituent, par exemple, la section n°3 et les industries de transformation, la section n°4, quand la section n°6 est intitulée "commerce et banque". Cette dernière est composée de trois groupes : les "commerces divers", les "commerces forains et spectacles" et, enfin, les "banques". Au sein des "commerces divers", sont distingués, en fonction des produits vendus, 13 "sous-groupes", parmi lesquels les commerces de produits agricoles, les commerces de liquides, les commerces de tissus et d'objets pour l'habillement – à l'intérieur desquels les commerces sont aussi distingués selon le type de marchandises vendues (nouveauté, soie, drap, toiles, mercerie, broderie...) –, les commerces de matériaux et objets pour l'usage domestique ou encore les "commerces mal désignés". Un tel classement, qui reproduit celui des industries, ne convient pas aux grands magasins, dont les différents rayons appartiennent à chacune des catégories de commerce. Il ne leur est alors réservé aucune place claire. A la fin des "commerces de tissus et d'objets pour l'habillement", on trouve ainsi les "marchands de nouveautés" ou les "grands magasins vendant toutes sortes de marchandises", mais les "magasins de plusieurs espèces de marchandises" sont sous la rubrique des "commerces mal désignés".

A cette absence de définition officielle, les conventions collectives vont pourtant devoir apporter une réponse concrète. Si l'on admet, comme semble le faire la nomenclature d'avril 1936, que le commerce du textile est différent de celui de la quincaillerie et de la parfumerie, il ne devrait pas y avoir de conventions collectives pour les grands magasins, les magasins populaires ou les magasins à prix uniques, dont les salariées relèveraient d'accords différents selon leur rayon de travail. Si, en revanche, on donne priorité à la spécificité du commerce, de la distribution, face à la production et par conséquent quels que soient les produits vendus, les conventions collectives devraient concerner le commerce en général et non ses différentes branches.

Ces incertitudes quant à la définition officielle des branches commerciales tiennent peut-être au peu d'intérêt que présente le secteur pour l'économie nationale, par rapport aux secteurs-clés que sont les mines ou les industries métallurgiques. Mais elles sont aussi liées à une faible organisation patronale dans le secteur. Les patronnes donnent en effet une existence à ces "branches" économiques lorsqu'elles et ils se regroupent, par exemple pour obtenir de l'Etat des avantages fiscaux. Aucune étude précise des patronnes de commerces ne permet de connaître exactement l'état de la syndicalisation dans ce secteur. Mais il n'existe, dans le commerce, aucune structure équivalente au Groupe des industries métallurgiques et minières. L'énergie déployée, au début du siècle, par le Syndicat des employés de commerce lorsque, pour obtenir un accord sur la fermeture dominicale des magasins lyonnais, il a dû négocier presque individuellement avec toutes les patronnes de commerces, en donne un exemple. Mais les mouvements patronaux du secteur ont pu se développer entre le début du siècle et 1936, par exemple pour faire face aux importantes grèves qui ont touché les grands magasins parisiens en 19191155. En outre, l'opposition entre petits détaillants et grands commerces, toujours soulignée après avoir été mise en scène par Zola dans Au Bonheur des Dames, s'est exacerbée avec la crise des années 1930 et l'apparition des magasins à Prix Uniques en France. Elle aboutit même à une loi qui, en 1936, interdit pendant un an toute nouvelle implantation de tels magasins1156. La faible organisation des patronnes de commerce pose alors, parallèlement à celui de la définition des branches d'activité, le problème concret de l'existence de signataires pour les conventions collectives.

Notes
1151.

Loi du 24 juin 1936 citée, article 1er.

1152.

Claude Didry, "La Nouvelle jeunesse des conventions collectives : la loi du 24 juin 1936", dans Jean-Pierre Le Crom (dir.), Deux Siècles de droit du travail. L'histoire par les lois, Paris, Editions de l'Atelier, 1998, p.131.

1153.

Voir Alain Desrosières et Laurent Thévenot, Les Catégories socioprofessionnelles, ouvrage cité, p.20.

1154.

Décret du 9 avril 1936, Nomenclature des industries et professions, Journal Officiel du 7 mai 1936.

1155.

Pierre Delon, Les Employés. De la plume d'oie à l'ordinateur, un siècle de luttes, origines et activité de la Fédération CGT, Paris, Editions sociales, 1969, p.80 à 83 ; Jeanne Siweck-Pouydesseau, Le Syndicalisme des cols blancs, Paris, L'Harmattan, 1996, p.53.

1156.

Daniel Lefeuvre, contribution citée dans Jacques Marseille (dir.), La Révolution commerciale..., ouvrage cité, p.109-120 ; Yves Lequin, contribution citée dans Georges Duby (dir.), Histoire de la France urbaine, t.4, p.547.