b- l'échelle des salaires

la grille des magasins de nouveautés

Dans la grille salariale des magasins de nouveautés, faute d'une définition explicite des niveaux de responsabilité de chacun des postes recensés et des types de compétences nécessaires pour les occuper, rien n'explique la hiérarchie mise en place. D'ailleurs, dans le tableau de la convention collective, les postes ne sont pas classés par ordre croissant de salaire, mais par service – voir la reproduction du barème de salaire. L'échelle salariale qui est pourtant, de fait, établie, repose alors sur plusieurs critères.

Suivant une hiérarchie sexuelle classique, la grande majorité des postes féminins font l'objet de rémunérations inférieures au poste masculin le plus bas. Les "femmes de service" sont les moins bien payées, à 650F par mois. On trouve ensuite les réceptionnaires femmes et les employées de bureau non comptables, à 700F, les manutentionnaires femmes à 725F par mois, les caissières, les "dactylos" et les contrôleuses de caisse à 750F et les vendeuses à 775F. Les caissières-comptables et les sténodactylographes, payées respectivement 900 et 1 000F par mois sont les seules femmes à gagner plus que les inspecteurs qui, à 800F, sont au bas de l'échelle salariale masculine. Les employés de bureau non comptables et les garçons de magasin sont à 850F, puis les étalagistes, les caissiers, les veilleurs de nuit, les réceptionnaires et les manutentionnaires à 900F. Viennent ensuite les ouvriers d'entretien n'ayant pas fait d'apprentissage et les vendeurs, à 950F par mois, et enfin les chauffeurs qui, comme les caissiers comptables, sont à 1 000F par mois. La structure hiérarchique établie en 1936 n'est pas modifiée en 1938 lorsque la convention collective est renouvelée.

Les premières interrogations concernent deux catégories de salariées du bas de l'échelle, les inspecteurs et les employées de bureau non comptables, payées moins que les manutentionnaires. La position des inspecteurs est étonnante dans la mesure où l'une de leurs tâches est la surveillance du personnel. Avant 1936 déjà, cette relation aux autres salariées ne se traduisait pas par une rémunération supérieure. Mais ils sont désormais les hommes les moins bien payés. L'explication se trouve sans doute dans le statut de retraité (de la fonction publique ou de l'armée) qui est celui de la grande majorité d'entre eux, au Grand Bazar comme ailleurs si l'on en croit le témoignage de Marcillon. Entre 1933 et 1936 en effet, dans le cadre de la lutte contre le chômage, plusieurs textes législatifs ont été votés qui limitent le cumul d'une pension ou d'un emploi public avec une autre source de revenus. Ainsi, depuis 1933, les militaires à la retraite ne peuvent occuper un emploi public que dans la mesure où la rémunération totale ne dépasse pas une certaine somme ; des décrets de 1934 interdisent ensuite aux fonctionnaires à la retraite de continuer à travailler dans leur administration "à titre d'auxiliaire" et à ceux qui sont en activité d'avoir deux emplois dans la fonction publique ; enfin, depuis 1935, il n'est plus possible de cumuler une fonction publique et un emploi privé1184. Aucun de ces textes n'interdit directement à un militaire ou fonctionnaire retraité d'avoir un emploi privé. Mais dans un tel contexte, il est possible que le salaire des retraités du secteur public travaillant dans le privé ait aussi été limité dans les faits. La place des "employées de bureau non comptables" dans l'échelle salariale montre ensuite que la professionnalisation des emplois de bureau est loin d'être achevée et que de nombreux postes sont encore non qualifiés. Est-ce alors la pénibilité physique qui explique que les manutentionnaires soient mieux rémunérées ? Les "réceptionnaires" femmes, qui n'ont pas de tâches de manutention, reçoivent d'ailleurs le même salaire que les employées de bureau, inférieur à celui des manutentionnaires. Mais la difficulté physique des postes de manutention ne fait pas l'objet de la même reconnaissance pour les femmes et pour les hommes. En effet, contrairement à la hiérarchie masculine, les femmes manutentionnaires gagnent moins que les caissières. Le niveau de salaire des hommes manutentionnaires traduit alors un engagement physique plus important que pour les femmes, affectés qu'ils sont au transport des objets lourds et volumineux.

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Reproduction n°19 : Barème de salaires annexé à la convention collective des magasins de nouveautés du 17 juin 1936

Les vendeuses et vendeurs sont, dans les échelles féminine et masculine, parmi les mieux rémunérées, juste derrière les caissières- ou caissiers-comptables. Leur salaire est désormais composé d'un unique fixe, le système de la guelte est supprimé. Ce n'est apparemment pas le cas dans la nouveauté parisienne, où, d'après Mercillon, la guelte n'a été supprimée qu'en 1939, avec le début de la guerre1185.

En haut de l'échelle des salariées de commerce, on trouve des emplois de bureau, les caissières- ou caissiers-comptables et les "sténodactylographes". Ce dernier poste, occupé par des femmes, introduit alors une distorsion dans la hiérarchisation des salaires féminins et masculins puisqu'à 1 000F par mois en 1936, il se situe au niveau des postes masculins les mieux payés. Pour ces salaires, les magasins de nouveautés se sont sans doute alignés sur les revendications des dactylographes et sténodactylographes. Ces dernières ne sont certes pas signataires de la convention collective des magasins de nouveautés, mais c'est à peine quelques jours plus tard que leur Chambre syndicale conclut un accord salarial avec l'Union des chambres syndicales patronales de la région lyonnaise1186.

Notes
1184.

Loi du 28 février 1933, Journal Officiel du 1er mars 1933 ; décret du 4 avril 1934 intitulé "règles de cumul en matière de traitements", et décret du 4 avril 1934 "qui supprime le cumul d'une rémunération d'auxiliaire et d'une pension d'ancienneté", Journal Officiel du 5 avril 1934 ; décrets du 28 août 1935 relatifs au cumul d'une fonction publique et d'un emploi privé, Journal Officiel du 29 août 1935.

1185.

Henri Mercillon, La Rémunération des employés, Paris, Armand Colin, 1955, p.60.

1186.

ADR, 10MPC127, accord relatif aux salaires du 21 juin 1936.