b- 1942-1944 : les réquisitions de main-d'oeuvre par l'Allemagne

les lois

C'est en 1942 que se produit le tournant, lorsqu'un deuxième front est ouvert, à l'Est. Pour remplacer les nombreux travailleurs allemands alors transformés en soldats, il faut faire appel à une main-d'oeuvre étrangère. Le 19 mars 1942, Fritz Sauckel est nommé commissaire général du Reich pour l'emploi de la main-d'oeuvre. Il réclame immédiatement l'envoi en Allemagne de 500 000 ouvriers français, dont 250 000 qualifiés. Pour répondre à ces exigences, le gouvernement de Vichy met en place, en juin 1942, le système de la "relève" : un prisonnier français en Allemagne devrait être libéré pour le départ de trois ouvriers. Les effets de cette mesure, incitative, sont loin de répondre aux objectifs, puisque seuls 17 000 spécialistes partent1307. Passant alors à une politique beaucoup plus directive, le gouvernement promulgue, en septembre 1942, une loi "relative à l'utilisation et à l'orientation de la main-d'oeuvre"1308. Il se donne par là les moyens d'affecter "toute personne du sexe masculin âgée de plus de 19 ans et de moins de 50 ans et toute personne du sexe féminin, célibataire, âgée de plus de 21 ans et de moins de 35 ans" aux travaux qu'il jugera utile, dans l'intérêt supérieur de la nation (article 2). Le gouvernement s'assure ensuite un contrôle général de tous les mouvements de main-d'oeuvre sur le marché du travail. En effet, "tout congédiement, toute résiliation de contrat de travail sans autorisation préalable des services de l'inspection du Travail sont interdits dans les entreprises industrielles et commerciales" (article 6). Les procédures administratives, prévues par l'arrêté d'application de la loi, pour toute embauche ou débauche de personnel sont similaires à celles auxquelles sont soumis les établissements travaillant pour la Défense nationale depuis 1939. Les employeurs et employeuses doivent ainsi adresser une demande à l'inspecteur ou inspectrice du travail qui est tenue de répondre dans un délai de 10 jours1309, contrainte également imposée aux salariées qui désirent quitter leur emploi1310. En cas de rupture de contrat, la partie qui en prend l'initiative doit se justifier. Toutes ces requêtes doivent, enfin, spécifier les nom, prénom, nationalité, âge, sexe, adresse ainsi que la "qualité professionnelle et le métier exercé" par les salariées. Par ailleurs, les hommes français âgés de 18 à 50 ans, qui n'ont pas un emploi régulier les occupant au moins 30 heures par semaine, doivent se déclarer à la mairie de leur résidence et ceux qui perdent leur emploi doivent faire de même1311. Cette recension systématique des hommes inoccupés s'avère extrêmement efficace puisqu'elle permet l'envoi de 240 000 travailleurs en Allemagne entre septembre et décembre 19421312.

Mais au 1er semestre 1943, Fritz Sauckel exige 250 000 ouvriers supplémentaires1313. Pour y répondre, le gouvernement français promulgue, en février 1943, la loi sur le Service du Travail Obligatoire, qui réquisitionne les hommes des classes d'âge 1940 à 19421314. Elle entraîne le départ de 250 000 travailleurs outre-Rhin1315. Mais à partir de là, Albert Speer, chargé de la planification et de la rationalisation de la production de guerre puis ministre de l'Armement du Reich, entre en conflit avec Sauckel, lui reprochant de trop désorganiser la production en France. Un accord est alors conclu, en septembre 1943 entre Albert Speer et Jean Bichelonne, secrétaire d'Etat français à la Production industrielle, qui aboutit à la constitution d'une catégorie d'entreprises dont les ouvriers sont exempts du STO, les "S-Betrieb" (Speer-Betrieb)1316. Au deuxième semestre 1943, la troisième "action Sauckel", qui porte sur le transfert de 240 000 ouvriers français en Allemagne, est un échec relatif, avec le départ de 105 000 travailleurs. La législation sur les réquisitions de main-d'oeuvre par l'Etat est alors une nouvelle fois modifiée, en février 19441317. Les tranches d'âges concernées sont largement étendues, de 16 à 60 ans pour les hommes et de 21 à 45 ans pour les femmes (article 2). Les lieux d'affectation doivent cependant tenir compte de l'âge (pour les deux sexes) et de la présence d'enfants pour les femmes. Mais ces mesures n'ont, cette fois, plus beaucoup d'effets. 50 000 Françaises sont encore expatriées en 1944 pour un million exigé Sauckel1318.

Ces mesures s'accompagnent d'une réorganisation des services administratifs chargés du placement des travailleurs et travailleuses. En février 1943, après la promulgation de la loi sur le STO, le Comité de lutte contre le chômage est d'abord dissout et ses attributions confiées à l'Office de reclassement professionnel de la main-d'oeuvre du secrétariat d'Etat au Travail. Quelques semaines plus tard, l'Office de reclassement est lui même supprimé et ses services transférés au Commissariat général au Service obligatoire du travail1319.

Pour les entreprises qui ne travaillent pas dans les secteurs-clés de l'économie, la loi de 1942 constitue un tournant fondamental, la première immixtion directe de l'Etat dans la gestion de la main-d'oeuvre.

Notes
1307.

Yves Le Maner et Henry Rousso, contribution citée, p.27.

1308.

Loi du 4 septembre 1942 relative à l'utilisation et à l'orientation de la main-d'oeuvre, Journal Officiel du 13 septembre 1942.

1309.

Arrêté interministériel du 19 septembre 1942, articles 2 et 3, Journal Officiel du 20 septembre 1942.

1310.

Idem, article 1er.

1311.

Décret du 19 septembre 1942 pris par application de la loi du 4 septembre 1942 relative à l'utilisation et à l'orientation de la main-d'oeuvre, article 1er, Journal Officiel du 20 septembre 1942.

1312.

Yves Le Maner et Henry Rousso, contribution citée, p.27 et Alfred Sauvy, La Vie économique des français, ouvragé cité, p.178.

1313.

Yves Le Maner et Henry Rousso, contribution citée, p.28.

1314.

Loi du 16 février 1943.

1315.

Yves Le Maner et Henry Rousso, contribution citée, p.28.

1316.

Voir aussi Danièle Rousselier-Fraboulet, "La Métallurgie sous l'Occupation, étude nationale et régionale", dans Olivier Dard, Jean-Claude Daumas, François Marcot (dir.), ouvrage cité, pp.361-374.

1317.

Loi du 1er février 1944 étendant le champ d'action de la loi du 4 septembre 1942 sur l'utilisation et l'orientation de la main-d'oeuvre, Journal Officiel du 2 février 1944.

1318.

Yves Le Maner et Henry Rousso, contribution citée, p.28.

1319.

Bernd Zielinski, contribution citée, p.304.