b- une nouvelle classification : décembre 1944

Au mois de novembre, un autre arrêté du commissaire de la République entraîne une réorganisation des salaires des "employés, techniciens et agents de maîtrise" de la région et donc, en particulier, des employées de commerce1411. En effet, les syndicats d'employeurs et employeuses et de salariées doivent procéder à un nouveau classement du personnel en cinq catégories salariales. La définition de ces dernières, donnée par l'arrêté, fait appel à deux variables : les responsabilités inhérentes au poste de travail et les connaissances nécessaires à l'exécution des tâches qu'il recouvre. La première catégorie doit ainsi rassembler le "personnel ayant des fonctions d'exécution de travaux simples représentant un caractère schématique ou mécanique", la seconde le "personnel ayant des fonctions d'exécution nécessitant des connaissances techniques de pratique élémentaire", la troisième le "personnel ayant des fonctions d'exécution nécessitant des connaissances techniques, théoriques ou pratiques, sans responsabilité d'encadrement ou affecté à un encadrement élémentaire", la quatrième le "personnel ayant des fonctions d'encadrement ou d'exécution de travaux nécessitant dans les deux cas des connaissances techniques ou pratiques approfondies" et, enfin, la cinquième, le "‘personnel ayant des fonctions d'encadrement ou d'exécution de travaux nécessitant dans les deux cas des connaissances techniques ou pratiques approfondies et étendues, et dont l'exercice comporte le sens de l'initiative et des responsabilités’" (article 6). Rien ne dit comment apprécier le caractère "élémentaire" ou "approfondi" ou encore "approfondi et étendu" des connaissances requises pour les différents postes. Les organisations syndicales devront donc s'entendre pour définir leurs propres critères. L'arrêté fixe ensuite des minima salariaux pour chaque catégorie (article 7), avant de préciser, contrairement à ce qui était préconisé par l'ordonnance d'août 1944, que les salaires féminins doivent être inférieurs à ceux du personnel masculin de 10%, voire de 15% dans les branches où le personnel est essentiellement féminin (article 18).

Un accord intervient le 11 décembre 1944, entre la Chambre syndicale des magasins de nouveautés, vêtements et accessoires du vêtement et les syndicats d'employées de commerce, CGT et CFTC1412. Le rétablissement de la liberté syndicale, par une ordonnance du 27 juillet 1944 permet apparemment à la CFTC de jouer, désormais, un rôle dans le commerce. La classification des emplois qui est établie ne montre aucun changement quant à la reconnaissance des qualifications nécessaires pour travailler dans le commerce. En effet, les salariées non gradées, soit la grande majorité du personnel d'un magasin comme le Grand Bazar, sont exclusivement classées dans les deux premières catégories définies par l'arrêté de novembre. La deuxième catégorie regroupe même la quasi totalité des postes, puisque seules les veilleurs de nuit, les garçons et les femmes de ménage se trouvent dans la première catégorie. C'est dire que seules des "connaissances techniques ou pratiques élémentaires" sont reconnues nécessaires pour occuper ces postes d'exécution. Cette deuxième catégorie a cependant été scindée en deux niveaux de salaires "2A" et "2B", mais sans que la différence ne soit expliquée. On trouve ainsi, entre autres, dans la catégorie "2A" – la plus basse des deux – les vendeuses et vendeurs "ordinaires", les manutentionnaires, les caissières et caissiers et les employées aux écritures puis, dans la catégorie "2B", les "vendeurs qualifiés ou premiers vendeurs", ouvriers d'entretien, inspecteurs, étalagistes, aides-comptables, téléphonistes-standardistes ou sténodactylographes (capables de 100 mots par minute). Les trois catégories salariales supérieures sont, par conséquent, presque vides. Dans la 3e catégorie, sont classées les secondes d'une cheffe de rayon acheteur ou acheteuse, les cheffes de rayon qui n'achètent pas, le caissier principal et les sténodactylographes les plus performantes (plus de 120 mots minutes). Ensuite, seules appartiennent à la 4e catégorie les cheffes de rayon qui effectuent les achats "sous la responsabilité d'une autorité supérieure" puis, à la dernière, les cheffes qui ont la responsabilité totale de leur rayon.

De cet accord survenu entre la Chambre des magasins de nouveautés et les syndicats d'employées de commerce n'ont été retrouvés, dans les archives, que le barème de salaire et la grille de classement des emplois. Mais un autre accord est signé, un mois plus tard, entre le Syndicat des commerçants détaillants et les deux mêmes syndicats de salariées, dont le texte a, cette fois, été entièrement conservé1413. Les barèmes de salaire (articles 4 et 9) et les classifications d'emploi sont exactement les mêmes que pour les magasins de nouveautés. Il est alors probable que, comme en 1936, les deux textes soient entièrement identiques. Les précisions apportées par ce deuxième accord portent d'abord sur les salaires féminins, qui correspondent à ceux du personnel masculin minorés de 15% (article 5). D'après l'arrêté du commissaire de la République, cet abattement pouvait avoir lieu dans les secteurs où "le personnel est essentiellement féminin". Le commerce est donc, apparemment, considéré comme un lieu de travail "féminin", alors qu'au Grand Bazar, les femmes constituent tout au plus la moitié de la main-d'oeuvre. Dans les autres commerces, les femmes sontelles alors déjà devenues majoritaires ? Ou les représentations sontelles définitivement imprégnées par les "reclassements" de main-d'oeuvre opérés depuis le début de la guerre, qui ont affecté en priorité les hommes dans les entreprises industrielles ? La définition persistante des emplois de commerce comme des emplois non qualifiés n'a pu, en outre, que renforcer l'image "féminine" des emplois de commerce, la construction de la "qualification" n'étant jamais neutre du point de vue du genre.

Avec ces accords conclus fin 1944 et début 1945, les postes de travail des entreprises commerciales se trouvent, pour la première fois, explicitement hiérarchisés selon des critères de compétences. Le travail qu'entreprend Alexandre Parodi, alors ministre du Travail, à partir du printemps 1945 doit parachever cette évolution. Il entérine d'abord définitivement les nomenclatures mises en place dans les différentes branches d'activité en les unifiant au niveau national, puis fond l'ensemble de ces classifications dans une seule grille salariale, alors valable pour l'ensemble du salariat français.

Notes
1411.

Arrêté n°652 du 21 novembre 1944, portant fixation des salaires minima des employés, techniciens et agents de maîtrise de la Région Rhône-Alpes, Journal Officiel du commissariat de la République du 23 novembre 1944.

1412.

ADR, 3330W115, avenant du 11 décembre 1944 à la convention collective du 21 décembre 1937, barème des salaires minima des employés de commerce et classement des emplois.

1413.

ADR, 3330W115, Accord du 26 janvier 1945 entre le Syndicat des commerçants détaillants et le Syndicat des employés de commerce (CGT) et le Syndicat des employés de commerce (CFTC).