d- une grille salariale unique pour l'ensemble du salariat

Le système de fixation des salaires mis en place dans les arrêtés ministériels à partir de 1945 reprend largement les principes édictés par la Charte du Travail et mis en pratique en 1943 et 1944 dans certains secteurs d'activité.

les coefficients salariaux

Dans toutes les branches, le mécanisme est identique. Les "arrêtés fixant les salaires" attribuent à chaque "catégorie" d'emplois ainsi qu'aux échelons dont elles sont composées, un coefficient de salaire. La hiérarchie des coefficients est organisée sur la base 100, à partir de laquelle toute augmentation du nombre de points correspond à une différence proportionnelle de salaire. En 1945 par exemple, les vendeuses et vendeurs très qualifiées, au coefficient 150, ont un salaire une fois et demie supérieur à celui du personnel de nettoyage, au coefficient 100 : les premieres gagnent 4 940F par mois dans la région lyonnaise contre 3 296F aux secondes1442. Ce système est peut-être mieux structuré et plus abouti que sous le régime de Vichy mais s'en inspire grandement. Le coefficient 100, d'abord, est bien proche du salaire minimum vital, qui, d'après la Charte du Travail, "correspond à la rémunération de celui qui n'a ni charge de famille ni qualification professionnelle"1443. La détermination des niveaux de salaires grâce aux coefficients, ensuite, rappelle le rôle de la "rémunération professionnelle" défini par la Charte du Travail, celui d'un élément de salaire qui s'ajoute au salaire minimum vital et qui doit "prendre la forme d'un coefficient applicable au salaire minimum vital"1444.

Comme le salaire minimum vital également, la valeur de ce coefficient 100 n'est pas la même selon les régions : elle "varie suivant les lieux de travail et le coût local de la vie"1445. Vichy avait déjà mis en oeuvre ce principe dans les arrêtés de "remise en ordre des salaires" promulgués à partir de juin 1943, où les montants de salaires étaient déclinés en fonction de zones territoriales, pour qu'un même poste de travail garantisse un pouvoir d'achat comparable dans toute la France. Alexandre Parodi reprend exactement le même système en 1945. Le découpage de la France opéré par le régime de Vichy n'est pas repris à l'identique et une nouvelle carte est dessinée au printemps 19451446. Puisque c'est à Paris que les salaires sont les plus élevés, la capitale est érigée en région de référence. Les salaires pratiqués ailleurs résultent alors d'abattements, à des taux plus ou moins importants, sur les montants parisiens. Le premier arrêté, en avril 1945, prévoit cinq classes d'abattements, de 12 à 33%1447. Les différentes zones salariales ne sont pas des espaces continus. Des pôles urbains, les grandes villes de province, telles que Lyon ou Marseille, et leurs banlieues, sont dégagés, où les salaires font l'objet du plus petit taux d'abattement prévu. Puis des territoires de plus ou moins grande proximité à ces pôles sont délimités, l'abattement augmentant avec leur éloignement. Deux autres arrêtés, pris très peu de temps après celui d'avril, procèdent à divers ajustements alors que paraissent les premières décisions de Parodi. A partir du 1er juin 1945, les salaires lyonnais sont inférieurs de 5% aux salaires parisiens1448. L'unification des classifications professionnelles de chaque branche d'activité au niveau national puis la détermination centralisée des salaires aboutit à une homogénéisation des conditions de rémunération relatives à un poste de travail sur l'ensemble de la France.

En outre, et c'est là une nouveauté des décisions de 1945 par rapport au système vichyste, le montant des coefficients est identique pour les hommes et pour les femmes. Dans l'ordonnance de 1944, le Gouvernement provisoire de la République prévoyait une égalité des taux minima des salaires féminins et masculins, qui n'avait pas été respectée dans l'accord salarial valable dans les magasins de nouveautés de la région lyonnaise. En 1945, l'article 1er des arrêtés Parodi fixant les salaires dans le commerce comme dans les bureaux commence alors par ces mots : "Le présent arrêté a pour objet de fixer les salaires des employés de l'un et l'autre sexe occupés dans les établissements commerciaux [...]"1449. Au tout début de la classification des emplois dans les commerces, il est ensuite mentionné que "les salaires masculins et les salaires féminins sont identiques pour des postes identiques, bien que la rédaction des classifications soit tantôt au masculin, tantôt au féminin"1450 – la plupart des postes de travail sont, en fait, au masculin. L'interdiction d'opérer des abattements pour les salaires féminins est enfin entérinée par un arrêté de juillet 19461451. La circulaire ministérielle relative à son application précise que "la commission nationale des salaires réunie le 29 mai 1946 s'est prononcée pour le principe de la suppression de la notion de salaires féminins, en décidant qu'à conditions correspondantes de qualification professionnelle et de rendement, il n'y aurait pas de différences entre les salaires masculins et féminins"1452. Seul l'âge continue, en 1945, à justifier des abattements de salaire. Par rapport au barème de 1936, son rôle dans le montant des salaires est clarifié. L'âge à partir duquel les salaires ne font plus l'objet d'abattement a déjà été abaissé de 21 à 20 ans pendant la guerre – dès l'arrêté préfectoral de 1942, qui relève les salaires anormalement bas1453 – seuil conservé dans l'accord salarial de 19441454. Les arrêtés Parodi le descendent encore à 18 ans. Les salaires des 17-18 ans s'élèvent alors à 80% de ceux des adultes de leur catégorie professionnelle, à 70% pour les 16-17 ans, 60% pour les 15-16 ans et 50% pour les 14-15 ans1455.

Si elles varient selon les régions, les valeurs des coefficients salariaux sont, en revanche, identiques dans tous les secteurs d'activité. La quasi totalité des salariées – à l'exception des fonctionnaires et des salariées agricoles – se trouvent ainsi classées dans une grille salariale unique. Pour les employeurs et employeuses, ce système constitue sans doute un outil pratique pour la gestion de la main-d'oeuvre, puisqu'il permet de situer précisément les postes de travail de leur entreprise parmi ceux du bassin d'emploi. Pour les salariées, il facilite la comparaison entre les postes et la mobilité entre les entreprises. Le marché du travail s'en trouve sans doute fluidifié. Or, dans la grille, les employées de commerce n'occupent pas, dans leur majorité, les meilleures positions.

Notes
1442.

Arrêté du 28mai 1945 relatif aux salaires dans les commerces non alimentaires, Journal Officiel du 31 mai 1945.

1443.

Loi du 4 octobre 1941, citée, article 54.

1444.

Idem, article 56.

1445.

Idem.

1446.

La Corse et l'Alsace sont d'abord exclues du découpage.

1447.

Arrêté du 24 avril 1945, fixant les zones territoriales pour la détermination des salaires, Journal Officiel du 25 avril 1945, modifié par l'arrêté du 6 juin 1945, Journal Officiel du 7 juin 1945.

1448.

Arrêté du 30 mai 1945, modifiant et complétant l'arrêté du 24 avril 1945 fixant, à titre provisoire, les zones territoriales pour la détermination des salaires, Journal Officiel du 31 mai 1945 et arrêté du 18 juillet 1945 fixant les zones territoriales pour la détermination des salaires, Journal Officiel du 20 juillet 1945, rectificatifs, Journal Officiel du 21 juillet et du 15 novembre 1945.

1449.

Arrêté du 17 mai 1945 fixant les salaires dans les commerces non alimentaires, cité.

1450.

Décision du 29 août 1945, classification des emplois dans les commerces de détail non alimentaires, citée.

1451.

Arrêté du 30 juillet 1946 portant abrogation des dispositions relatives aux abattements autorisés pour les salaires féminins, Journal Officiel du 3 août 1946.

1452.

ADR, 232W58, Circulaire du 6 septembre 1946 relative à l'application de l'arrêté du 30 juillet 1946 portant abrogation des dispositions relatives aux abattements autorisés pour les salaires féminins, non publiée au Journal Officiel, Salaires et classifications professionnelles, Fascicule I, textes généraux, imprimerie des journaux officiels, Paris, 1946.

1453.

Chambre de commerce de Lyon, boîte 5, document 16, arrêté du 23 mars 1942.

1454.

ADR, 3330W115, accord du 26 janvier 1945, cité, article 6.

1455.

Arrêtés du 16 mai 1945, 28 mai 1945, 12 juin 1945, cités fixant les salaires des employés de bureau et services annexes dont la fonction présente un caractère interprofessionnel et arrêtés du 17 mai 1945, 28 mai 1945 et 13 juin 1945 cités fixant les salaires des employés de commerces non alimentaires.