1/ le temps de travail

a- le rétablissement de la semaine de travail à 40 heures : même cause, mêmes effets

les textes législatifs

A la Libération, la législation de 1936 sur le temps de travail n'est que timidement rétablie. La limitation de la semaine de travail à 40 heures est rappelée par la loi du 25 février 19461583, qui tente de lui redonner vigueur en augmentant nettement la rémunération des heures supplémentaires. Le coût, pour les employeuses et employeurs, du travail supplémentaire des salariées est, en effet, l'un des biais par lequel les décrets de novembre 1938 avaient remis en cause les acquis du Front populaire. En stipulant que la majoration du salaire horaire ne pourra être inférieure à 25% jusqu'à la quarante-huitième heure hebdomadaire, puis à 50% au-delà (article 1er), la loi de 1946 revient effectivement sur l'orientation prise en 1938. Mais, contrairement à ce qui est affirmé dans la circulaire du 13 mars 1946 relative à son application, elle n'opère pas "un retour au régime antérieur aux décrets du 12 novembre 1938"1584. Le deuxième aspect modifié par les textes de 1938, l'amplitude des heures supplémentaires autorisées, n'est guère retouché. Les employeuses et employeurs peuvent, en effet, faire effectuer jusqu'à 20 heures supplémentaires par semaine1585, ce qui permet donc de multiplier le temps de travail hebdomadaire par 1,5. Elles et ils doivent, certes, en obtenir l'autorisation des inspecteurs ou inspectrices du travail, mais le ministre du Travail donne à ces dernieres des consignes claires dans ce sens : "‘alors que le législateur de 1936 considérait ce recours [aux heures supplémentaires] comme une dérogation exceptionnelle qu'il n'y avait pas lieu d'encourager, la loi nouvelle, pour tenir compte des exigences de la production, marque une tendance opposée’"1586. La reconstruction du pays exige, en effet, de gros efforts de production, alors que la main-d'oeuvre est peu abondante et que la France doit faire appel à l'immigration. La facilité laissée aux employeuses et employeurs de recourir aux heures supplémentaires est alors un sérieux obstacle au rétablissement effectif de la semaine de 40 heures pour les salariées.

Au Grand Bazar, en particulier, rien n'empêche la direction de remettre en place des horaires de travail similaires à ceux de 1939, c'est-à-dire ceux qui avaient fait l'objet d'un accord entre la Chambre syndicale des magasins de nouveautés et le Syndicat des employés de commerce CGT après les décrets de 19381587. En effet, à la Libération, aucun texte n'abroge l'équivalence, posée en 1938 pour le personnel de vente, entre les 42 heures de présence et les 40 heures de travail "effectif", sur laquelle s'appuyait l'accord de 1939. Ce dernier faisait alors effectuer un grand nombre d'heures supplémentaires aux vendeuses et vendeurs, heures qui n'étaient cependant pas payées immédiatement. Un "compte" d'heures supplémentaires était ouvert pour chaque salarié-e, qui n'était soldé qu'une fois par an. Les modifications législatives de 1946, qui augmentent le coût des heures supplémentaires mais n'en entravent pas l'accès, conviennent alors parfaitement à un tel système. Comme Rose Daubinet, embauchée comme vendeuse en août 1946, le personnel de vente travaille ainsi du lundi au samedi de 8h25 à 11h45 puis de 13h45 à 18h401588, avec une demi-journée de repos par roulement.

Mais en décembre 1948, un décret détermine de nouvelles modalités d'application de la loi du 21 juin 1936 dans les commerces de détail non alimentaires1589 et, comme avant 1938, impose aux employeuses et employeurs des contraintes en matière de répartition des heures de travail. Les trois modalités possibles laissées au choix des patronnes reviennent largement sur la flexibilité mise en place à la fin de l'année 1938. En effet, soit les salariées bénéficient d'un repos collectif le samedi après-midi, soit elles et ils travaillent huit heures par jour pendant cinq jours et ont droit au lundi ou au samedi en plus du repos hebdomadaire. La troisième modalité, qui permet aux employeuses et employeurs de faire travailler chacune de leurs salariées du lundi au samedi et toute la journée, n'est autorisée que pendant deux semaines au cours du mois de décembre. Dans les stations touristiques, une dérogation est possible jusqu'à 13 semaines dans l'année et le ministre du Travail se réserve le droit de fixer, par arrêté, d'autres périodes dérogatoires, pour certaines régions et certains types d'établissement (article 1er).

Les dispositions de ce décret pris à titre provisoire, pour une durée d'un an, ne sont que peu modifiées dans les textes ultérieurs. Ces derniers ne portent, en effet, que sur le nombre de semaines pendant lesquelles il est possible de répartir les heures de travail de chacune des salariées sur six jours, c'est-à-dire sur la dernière modalité du décret de décembre 19481590. En 1956, finalement, ces semaines sont limitées à 16 par an, que les employeuses et employeurs sont libres d'utiliser au moment où elles et ils le souhaitent1591. Les deux autres modalités d'organisation des heures de travail prévues par le décret de 1948 demeurent inchangées. Contrairement aux décrets d'application de décembre 1937 ou de 1938, le texte de 1948 n'autorise pas formellement l'organisation du travail par "roulement". Mais il ne dit pas non plus que, si la seconde modalité de répartition des heures est choisie, le repos du lundi ou du samedi doit être donné collectivement. La voie est donc ouverte à une nouvelle instauration du repos par roulement.

Notes
1583.

ADR, 232W58, Salaires et classifications professionnelles, fascicule XXII, Imprimerie nationale, 1946. Loi du 25 février 1946 relative à la rémunération des heures supplémentaires de travail.

1584.

Idem, Circulaire du 13 mars 1946, adressée par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale aux inspecteurs divisionnaires du travail et aux ingénieurs des mines et aux ingénieurs des Ponts et chaussées, relative à la rémunération des heures supplémentaires de travail.

1585.

Idem, loi du 25 février 1946, citée, article 3.

1586.

Idem, circulaire du 13 mars, citée.

1587.

Chambre de commerce de Lyon, boîte 2, document 5, accord du 17 mars 1939, cité.

1588.

GBL, C15n°51, entrée le 13 août 1946.

1589.

Décret du 8 décembre 1948, déterminant les modalités provisoires d'application de la loi du 21 juin 1936 sur la semaine de 40 heures au commerce de détail de marchandises autres que les denrées alimentaires, Journal Officiel du 9 décembre 1948.

1590.

Décret du 30 décembre 1949, relatif à la répartition de la durée hebdomadaire de travail dans les entreprises commerciales non alimentaires, Journal Officiel du 3 janvier 1950 ; décret du 6 janvier 1951 relatif à la répartition de la durée hebdomadaire du travail dans les entreprises commerciales non alimentaires, Journal Officiel du 7 janvier 1951 ; décret du 20 décembre 1951 relatif à la répartition de la durée hebdomadaire du travail dans les entreprises commerciales non alimentaires, Journal Officiel du 21 décembre 1951 ; décret du 30 mai 1952 relatif à la répartition de la durée hebdomadaire du travail dans les entreprises commerciales non alimentaires, Journal Officiel du 31 mai 1952 ; décret du 24 octobre 1953, modifiant le décret du 30 mai 1952, relatif à la répartition de la durée hebdomadaire du travail dans les entreprises commerciales non alimentaires, Journal Officiel du 25 octobre 1953.

1591.

Décret du 3 octobre 1956, modifiant le du 24 octobre 1953, relatif à la répartition de la durée hebdomadaire de travail dans le commerce de détail de marchandises autres que les denrées alimentaires, Journal Officiel du 5 octobre 1956.