b- les auxiliaires

Si la définition du contrat de travail des titulaires comme contrat à durée indéterminée entérine une réalité établie, en revanche, la réunion des emplois "non titulaires" sous le titre "contrat à durée déterminée" ne relève pas de l'évidence.

des contrats à durée déterminée ?

Le "contrat à durée déterminée" n'a, en 1952, pas plus d'existence juridique que le contrat à durée indéterminée. Mais les débats du début du siècle en ont fait un cas à part, celui qui ne relève pas du droit commun et dont la protection n'est pas au centre des préoccupations. C'est dire que rien, en 1952, ne réglemente ce type de contrats, qui échappent, par conséquent, aux règles mises en place depuis 1890 en matière de préavis. Or, tel est, effectivement, le point commun de tous les emplois de "non titulaires" qui ont existé au Grand Bazar jusqu'en 1952, quels que soient le nom et la forme qu'ils aient pris. Les "auxiliaires" d'avant 1914, les "emplois temporaires" entre 1914 et 1936, les "auxiliaires" du roulement en 1937-1938 puis à partir de 1949 ou enfin les "auxiliaires" de la Seconde Guerre mondiale sont tous des emplois auxquels il peut être mis fin du jour au lendemain sans préavis ni indemnité. Ils partagent donc la précarité des "contrats à durée déterminée" des juristes. Mais seule une minorité d'entre eux sont des emplois à durée déterminée. Les surnuméraires que le Grand Bazar a toujours embauchées en fin d'année sont quasiment les seules salariées dont la durée de l'emploi était, et est encore en 1952, définie. Les autres pouvaient, jusque-là au moins, rester plusieurs années comme "auxiliaires" ou "temporaires" sans être titularisées. Si, au moment de définir, pour la première fois, les modes d'emploi en vigueur dans les commerces de détail, la convention collective fait de l'ensemble des emplois non titulaires des contrats à durée déterminée, c'est pour les faire entrer dans un cadre qui les exclut légalement des règles de protection des emplois et donc pour les maintenir dans la précarité. Mais cette tentative relève du tour de force puisque la convention collective ne remet pas entièrement en cause le fonctionnement existant des modes d'emploi.

Le chapitre VI de la convention collective de 1952 distingue deux contrats de travail pour les non titulaires, selon le temps de travail des salariées, et tente d'en faire des contrats à durée déterminée. Les salariées à temps partiel, d'abord, doivent être embauchées "pour la journée ou la demi-journée " (article 37). Mais le même article ajoute que "ce contrat pourra être ensuite renouvelé par accord entre les parties par simple engagement verbal". Il s'agit donc d'un contrat à durée déterminée, mais renouvelable indéfiniment. C'est ce que confirment les contrats qui font leur apparition au Grand Bazar en 1953, après la convention collective. Celui des salariées à temps partiel est intitulé : "contrat d'employé non titulaire, communément appelé auxiliaire, travaillant à la journée" – voir la reproduction du contrat de travail, p.538. Comme le titre l'indique et comme le prévoit la convention collective, il s'agit d'un "engagement, valable pour la journée du...19..., [... qui] pourra être renouvelé par simple engagement verbal ou tacite reconduction pour d'autres périodes de travail". Ce renouvellement tacite du contrat supprime toute durée déterminée à l'embauche. Mais la phrase qui suit immédiatement, imprimée en gras, affirme : "la volonté des parties est que ce contrat ne se transforme jamais en contrat à durée indéterminée". La précarité du contrat, dès lors permise, est confirmée dans le paragraphe suivant, qui stipule, en effet : "en cas de reconduction par engagement verbal ou autrement de ce contrat à durée déterminée, l'entreprise comme moi-même resterons libres de ne pas le renouveler à l'issue d'une quelconque journée de travail ; de part et d'autre, le non-renouvellement de ce contrat se fera donc sans préavis ni indemnité".

Pour les auxiliaires à temps complet, la convention collective prévoit un contrat de travail qui indique "pour quel laps de temps [le ou la salarié-e] est embauché" (article 38). C'est ce qui est censé faire du contrat d'auxiliaires à temps complet un contrat à durée déterminée. Le contrat qui apparaît en 1953 et intitulé "contrat d'employé non titulaire, communément appelé auxiliaire, travaillant à temps complet" – voir la reproduction du contrat de travail, p.539 –, impose à la direction du Grand Bazar de préciser la raison d'être de l'embauche : une période exceptionnelle ne pouvant dépasser trois mois ou le remplacement d'une titulaire absente. Dans le premier cas, doivent être inscrites les dates de début et de fin d'embauche, mais pas dans le second cas.

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Reproduction n°26 : Contrat de travail des auxiliaires à temps partiel, 1953-1974
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Reproduction n°27 : Contrat de travail des auxiliaires à temps partiel, 1953-1974

Pour le remplacement, la convention collective joue à nouveau sur les mots : la durée de l'emploi est certes limitée dans le temps (durée du remplacement), mais elle n'est pas pour autant déterminée précisément à l'avance.

La définition des contrats de travail d'auxiliaires comme contrats à durée déterminée dans la convention collective est donc uniquement le fait d'un artifice de langage. L'embauche des auxiliaires à temps partiel, en particulier, n'a pas de durée déterminée dans la pratique. Cette opacité du langage, ce refus de définir les emplois d'auxiliaires tels qu'ils sont réellement utilisés viennent, on l'a vu, de la nécessité de les distinguer des emplois de titulaires pour que leur précarité ne soit pas illégale. Dès lors, les emplois d'auxiliaires ne sont définis, dans la convention collective, que par exclusion des caractéristiques propres aux titulaires, exactement comme les contrats à durée déterminée ne sont, pour la loi, que des contrats qui ne sont pas à durée indéterminée.