3/ l'accès aux emplois de titulaires

Des 654 salariées ("B") embauchées entre le 1er septembre 1951 et le 31 août 1974, 130 (soit 20%) accèdent au statut de titulaire. Six autres obtiennent aussi un contrat stable, mais seulement après août 1974, lorsque les modes d'emploi ont changé. Ces dernieres ne sont donc plus "titularisé-e-s", mais ont droit à un contrat à durée indéterminée (CDI) à temps partiel. Des 130 salariées qui deviennent titulaires dans la période 1951-1974, 55 sont embauchées à ce titre et 75 sont titularisées. Ces deux voies d'accès aux emplois de titulaires dépendent directement de l'organisation des emplois d'auxiliaires. Elles ne sont donc pas présentes uniformément à tous les postes de travail.

Tableau n°61 : Répartition par poste des "B" embauchées comme titulaires ou titularisées entre septembre 1951 et août 1974.
1Service Poste Embauchée titulaire Titularisation
Fe Ho Total Fe Ho Total
Rayons Cheffe de rayon 0 0 0 0 0 0
Sous-cheffe de groupe 0 0 0 1 0 1
1ère vendeuse 3 0 3 0 0 0
Vendeuse 3 0 3 25 0 25
Vendeuse réserviste 1 0 1 36 0 36
Manutentionnaire 0 29 29 4 4 8
Total rayons 7 29 36 66 4 70
Bureaux Cheffe du personnel 1 0 1 0 0 0
Dactylographe 1 0 1 0 0 0
Standardiste dactylographe 1 0 1 0 0 0
Employée de bureau 3 0 3 0 0 0
Mécanographe 1 0 1 0 0 0
Secrétaire aide-comptable 1 0 1 0 0 0
Caissière libre-service 0 0 0 2 0 2
Total bureaux 8 0 8 2 0 2
Inspection Inspectrice / inspecteur 1 2 3 0 0 0
Concierge 0 1 1 0 0 0
Etalage Aide-étalagiste 1 0 1 0 0 0
Réception Employée de bureau 1 0 1 1 0 1
Manutentionnaire 0 5 5 0 1 1
Lingère 0 0 0 1 0 1
Total 18 37 55 70 5 75

Aux postes de vente, les auxiliaires à temps partiel présentes en permanence au magasin constituent le vivier de main-d'oeuvre dans lequel puisent les premières vendeuses et cheffes de rayon lorsqu'un emploi de titulaire se libère. L'article 30 de la convention collective de 1952 le stipule d'ailleurs : "en cas de vacance d'emplois dans un établissement employant du personnel non titulaire, il sera fait appel de préférence, à qualification égale, à ce personnel". Marie Doreau et Claudette Dimier sont ainsi toutes les deux titularisées dans leur rayon quelques mois après leur embauche à temps partiel, la première le 1er janvier 1961 et la seconde le 1er avril 19611645. Des 69 vendeuses ("B") qui obtiennent le statut de titulaires entre 1951 et 1974, quatre seulement sont embauchées comme titulaires. Deux d'entre elles sont d'ailleurs recrutées en septembre 1951, au moment où la direction du Grand Bazar renouvelle son personnel. Monique Davoine1646 et Marcelle Dhuit1647 entrent, elles, au milieu des années 1960. Le même système fonctionne alors à un autre poste du magasin, celui des caissières du libre-service ouvert en 1968. Dans la plupart des cas, les titularisations interviennent assez rapidement, plus rapidement qu'avant 1936. Toutes ou presque ont lieu avant deux ans (68 sur 75) de travail et même 26 avant 6 mois, comme pour Marie Doreau, et plus de la moitié (40) avant 9 mois.

Mais dans les autres services, où aucune auxiliaire ne travaille à temps partiel, le recrutement de personnel extérieur domine. Rares sont, en effet, les emplois d'auxiliaires à temps complet qui débouchent directement sur une titularisation. C'est cependant le cas des cinq hommes titularisés comme manutentionnaires. André Diet1648 et Guy Duchemin1649 entrent tous les deux comme auxiliaires à temps complet, le premier à la réception pour les fêtes de fin d'année en 1961 et le second à l'alimentation en mai 1968. André Diet est titularisé directement après les fêtes, le 1er janvier 1962. Guy Duchemin voit son contrat à temps complet prolongé à deux reprises pendant l'été, pour remplacer les titulaires en vacances, puis est titularisé à l'automne. Mais pour l'essentiel, les titulaires de la manutention, de l'inspection ou des bureaux sont directement embauchées à ce statut. Marguerite Duhem1650, Monique Dhiver1651 ou Marthe Diable1652 sont ainsi toutes les trois titulaires dès leur entrée, la première est mécanographe, la seconde employée de bureau et la dernière inspectrice. De même Claude Dormoy1653 et Gabriel Depond1654 sont embauchés comme manutentionnaires titulaires, le premier au rayon jouets et le second à la réception. Le statut de titulaire demeure aussi le seul possible pour les salariées de l'encadrement des rayons, les premières vendeuses par exemple, qui l'obtiennent donc dès leur embauche. Si Jeanne Denier est titularisée comme sous-cheffe de groupe, c'est qu'elle était entrée comme "stagiaire" au début de l'année 19631655, lorsque le Grand Bazar met en place un plan de formation des cadres dont ont besoin les différents magasins. Elle n'obtient alors véritablement son poste de sous-cheffe de groupe que le 1er janvier 1964.

La structure des emplois selon les postes de travail conjuguée à la division sexuelle du travail offre donc à une part très importante des hommes recrutés au Grand Bazar un emploi de titulaire. Au total, 44 des 106 hommes "B" embauchés entre 1951 et 1974 obtiennent ce statut, soit un peu plus de 40%, alors que ce n'est le cas que de 88 des 548 femmes, soit 16%.

De 1949 à 1951, la direction du Grand Bazar doit opérer une redéfinition des modes d'emploi des salariées qui tienne compte des évolutions législatives qui se sont produites depuis 1936. Les avancées du droit du travail renforcent incontestablement la protection des emplois titulaires, mais entraînent également, une fois encore, la création d'emplois précaires. Après la loi de 1890 sur la rupture du contrat de louage, après les lois sociales de 1936 limitant la semaine de travail et imposant la signature de conventions collectives, après le rétablissement, à la fin des années 1940, des acquis du Front populaire, le mécanisme est toujours le même. Les employeuses et employeurs mettent en place, en marge de la loi, des emplois, appelés "auxiliaires" ou "temporaires" selon les époques, qui leur permettent d'appliquer la loi sans trop entraver leurs habitudes et les affaires de leurs entreprises. Après la Deuxième Guerre mondiale, ces emplois sont, pour la première fois dans le commerce de détail, réglementés par la convention collective signée en 1952, c'est-à-dire après leur instauration. Mais loin de limiter leur précarité, le texte tente de faire entrer les emplois d'auxiliaires dans le cadre des contrats à durée déterminée, qui permet de les exclure légalement de la protection dont bénéficient les contrats à durée indéterminée. L'exercice est effectué au prix d'incohérences dans les définitions qui sont établies puisque, dans les faits, les contrats auxiliaires, en particulier ceux des salariées à temps partiel, ne sont pas et ne doivent pas être à durée déterminée. Avec l'assentiment des syndicats de salariées signataires, l'auxiliariat obtient une reconnaissance contractuelle sous sa forme précaire et flexible. Entre 1951 et 1974, la gestion de la main-d'oeuvre, quoiqu'encadrée par de nouvelles règles, repose donc, comme avant 1936, sur une flexibilité largement préservée.

Notes
1644.

Quatre autres vendeuses, entrées avant la période, sont titularisées le 1er septembre 1951, au moment de l'ouverture du nouveau magasin.

1645.

GBL, C5n°16, entrée le 15 septembre 1960 et C9n°51, entrée le 24 septembre 1960.

1646.

GBL, C14n°7, entrée le 2 août 1965.

1647.

GBL, C10n°3, entrée le 21 septembre 1966.

1648.

GBL, C15n°36, entré le 5 octobre 1961.

1649.

GBL, C13n°68, entré le 13 mai 1968.

1650.

GBL, C16n°1, entrée le 8 septembre 1958.

1651.

GBL, C7n°29, entrée le 30 août 1965.

1652.

GBL, C6n°2, entrée le 16 octobre 1962.

1653.

GBL, C15n°27, entré le 1er décembre 1954.

1654.

GBL, C2n°45, entré le 20 février 1962.

1655.

GBL, C13n°78, entrée le 24 ars 1963.