A/ les catégories salariales des salariées du Grand Bazar

La structure du travail au Grand Bazar a été simplifiée par la transformation en Prisunic en 1951. La diversité des postes de travail y est beaucoup moins importante que pendant la période de prospérité du magasin, dans les années 1920. Dans leur grande majorité, les salariées du Grand Bazar relèvent alors du même coefficient salarial 140.

Toutes les salariées du Grand Bazar qui occupent des fonctions de manutention sont payées au coefficient 140, les femmes comme les hommes, les titulaires comme les auxiliaires, qu'elles et ils soient appelées "manutentionnaires", "réservistes" ou "gondolières". C'est le cas, par exemple, de Gabriel Depond1656 et Jean-Pierre Daboussy1657, embauchés tous les deux comme manutentionnaires titulaires au début de l'année 1962, le premier à la réception et le second à l'alimentation, de Maxime Decarpentier1658 réserviste auxiliaire à temps complet pour les congés payés en 1965 ou encore de Jean-Loup Dommergue qui travaille à temps partiel en mai 19671659. La grille de 1947 ne classait pourtant au coefficient 140 que les "manutentionnaires de force" et les "manutentionnaires réservistes", réservant aux "manutentionnaires responsables d'une réserve" l'échelon supérieur. Les réservistes du Grand Bazar, dont le travail est supervisé par la première vendeuse du rayon, ne sont donc pas jugées "responsables" de leur réserve. Relèvent aussi du coefficient 140 les femmes qui, comme Monique Dhiver1660, sont embauchées comme "employées de bureau". Ce poste n'est pas recensé en tant que tel dans les classifications de 1947, où l'on trouve, en revanche, les "employées de comptabilité", payées au coefficient 138 en 1947 puis au coefficient 140 à partir de 1950.

Mais la direction paye aussi au coefficient 140 des salariées que les classifications de 1947 comme l'accord de 1950 affectaient à un coefficient inférieur. Ces modifications, qui ont pu être entérinées par la convention collective de 1952 ou par l'avenant d'établissement, documents qui n'ont pas été retrouvés, ont été rendues possibles par les classifications "Parodi" elles-mêmes. Les coefficients salariaux garantissent aux postes de travail qui en relèvent des minima. Les salariées peuvent, par conséquent, être payées à un échelon supérieur, à condition toutefois de ne pas dépasser les maxima individuels qui sont définis. L'écart de points entre le minimum et le maximum individuel, déterminé dans les arrêtés relatifs aux salaires de 1945, varie selon la catégorie. Il est de 15 points, pour les travailleuses et travailleurs manuelles et personnel de service et pour la première catégorie des "employé-e-s" (celle des vendeuses et vendeurs débutantes et employées aux écritures non qualifié-e-s), puis de 20 points pour les deux catégories suivantes et de 25 points pour la dernière, celle des vendeuses et vendeurs hautement qualifiées et des comptables1661. Les accords salariaux retrouvés pour la période postérieure à 1950 ne font plus aucune référence aux maxima individuels, qui sont peut-être supprimés. Pierre Djian, embauché au Grand Bazar en 1951 comme "surveillant", poste recensé au coefficient 115 dans la classification des emplois de bureau et services annexes, est ainsi payé au coefficient 1401662.

Le magasin classe également au coefficient 140 toutes les vendeuses recrutées. La classification des emplois de commerce prévoit une progression à l'ancienneté du personnel de vente : les débutantes sont affectées au coefficient 115, passent au coefficient 130 six mois plus tard, puis atteignent le coefficient 140 après une année de pratique professionnelle, le coefficient 150 après trois ans et le coefficient 170 après cinq ans. Or, au Grand Bazar, elles débutent au coefficient 140 quel que soit leur parcours antérieur et quel que soit leur mode d'emploi. En septembre 1960 par exemple, Claudette Dimier, Mathilde Daumont et Marie Doreau sont toutes les trois embauchées comme vendeuses auxiliaires à temps partiel à ce coefficient1663. La première, âgée de 32 ans, ne déclare que des postes d'ouvrières pendant les sept années qui précèdent son entrée au Grand Bazar. La seconde a 27 ans et la seule fonction qu'elle dit avoir occupée est celle de vendeuse, pendant trois ans au total, mais plus de sept ans auparavant, avant de s'arrêter lors de sa première maternité. La dernière, 26 ans, n'a été, elle aussi, que vendeuse, mais sans interruption d'activité. Elle a d'abord travaillé chez ses parents puis dans un magasin des Halles. Au Grand Bazar, les vendeuses qui, comme Claudette Dimier, n'ont aucune expérience professionnelle à la vente, sont donc mieux payées que ce que prévoit la classification professionnelle. Pour les salariées expérimentées en revanche, l'expérience acquise à l'extérieur du magasin n'est pas reconnue immédiatement. Elles obtiennent cependant un changement rapide de catégorie salariale, après un mois de travail jusqu'en 1960, et après 10 jours par la suite. Après 10 jours de présence, Claudette Dimier reste au coefficient 140, mais Mathilde Daumont, qui a déjà été vendeuse pendant trois ans, passe au coefficient 150 et Marie Doreau, qui a été vendeuse pendant cinq ans, passe au coefficient 170. Toutes les trois sont toujours à temps partiel.

De même que les débutantes sont payées à un niveau supérieur à celui que leur réserve les classifications, il arrive aussi que des vendeuses obtiennent au Grand Bazar un avancement plus rapide que le rythme prévu par la classification. Le cas est rare, mais Fernande Donche en est un exemple1664. Embauchée à temps partiel en octobre 1959, à 33 ans, elle était serveuse de café avant la naissance de sa fille, en 1950, et effectue depuis des travaux de couture à domicile. Un mois après son entrée, elle est pourtant passée au coefficient 170. Jacqueline Duret, embauchée à la même époque, à 20 ans, a été, auparavant, shampouineuse, pendant deux ans, serveuse de café pendant quelques mois puis OS pendant deux ans1665. Elle aussi est au coefficient 170 un mois après son embauche. Mais inversement, à l'issue des dix premiers jours de travail, certaines vendeuses ne sont pas affectées au coefficient salarial qui correspond à la durée de leur expérience. Yvonne Duquesne, par exemple, entre au Grand Bazar à 46 ans, en janvier 1968. Entre 1958 et 1968, elle a été successivement vendeuse durant six années dans une épicerie, puis trois ans caissière chez Lanoma (Monoprix)1666. Après 10 jours de travail, elle n'est pourtant pas passée au coefficient 170 à laquelle son parcours professionnel devrait lui donner droit, mais seulement au coefficient 150.

Au Grand Bazar, jusqu'en 1974 au moins, le statut et le temps de travail des vendeuses n'ont pas d'influence sur la catégorie salariale d'affectation, conformément, d'ailleurs, aux dispositions de la convention collective, qui stipule que "les salaires minima de base seront les mêmes pour le personnel titulaire que pour le personnel non titulaire"1667. Marcelle Dhuit, l'une des rares vendeuses embauchées comme titulaires en septembre 1966, sans expérience antérieure à la vente, est elle aussi au coefficient 140 à son embauche et n'est pas augmentée après un mois de travail1668. L'étude menée par Margaret Maruani et Chantal Nicole, au "Bon Magasin" en particulier, mais qui porte sur les années 1980 montre, au contraire, une progression des vendeuses et caissières dans la grille salariale en fonction de leur temps de travail et du type de contrats (CDD / CDI)1669. Les importants changements dans la réglementation du temps partiel et des contrats à durée déterminée, qui surviennent au début des années 1970 et qui bouleversent la définition des modes d'emploi, provoquent sans doute aussi des modifications dans le système de rémunération.

Les autres salariées du Grand Bazar sont à un coefficient supérieur à 140. Dans les bureaux, tous les postes autres que les "employées de bureau" sont classés à un échelon supérieur à celui prévu par la grille de 1947. Les dactylographes, comme Lucie Duguet, embauchée en mars 19581670, sont à l'échelon 160, alors que, dans la classification de 1947, les dactylographes les plus qualifiées sont à l'échelon 140 et les sténodactylographes "du 2e degré" à l'échelon 150. Marguerite Duhem, qui entre au Grand Bazar quelques mois après Lucie Duguet comme mécanographe est, elle aussi, au coefficient 1601671. Les standardistes, enfin, qui devraient être au coefficient 140 sont, comme Simone Dietrich1672, au coefficient 150. Dans les rayons, au début des années 1950, les premières vendeuses sont classées au coefficient 180. C'est le cas de Germaine Davet, par exemple, la première embauchée, en août 19511673. Elles n'ont donc pas le statut de cadre au Grand Bazar alors que la classification de 1946 des cadres des commerces de détail plaçait les "premiers vendeurs" au coefficient 190, l'échelon le plus bas de l'échelle des cadres1674. A la fin des années 1960, les premières vendeuses perdent même de l'importance puisque Marguerite Dadoun, embauchée en juin 1967, est affectée en catégorie 1701675, c'est-à-dire seulement au niveau des vendeuses les plus qualifiées.

Malgré la distinction et la hiérarchisation des postes opérées entre 1936 et 1950 dans les grilles de classifications professionnelles, toutes les salariées du Grand Bazar sont affectées à des catégories salariales relativement homogènes. La direction du magasin maintient ainsi un système de rémunération aussi proche que possible de la période antérieure à 1936. Mais le versement de "primes" en plus des minima catégoriels brouille la hiérarchie des postes mise en place par les classifications professionnelles.

Notes
1656.

GBL, C2n°45, entré le 20 février 1962.

1657.

GBL, C13n°29, entré le 2 mai 1962.

1658.

GBL, C10n°10, entré le 23 août 1965.

1659.

GBL, C1n°44, entré le 5 mai 1967.

1660.

GBL, C7n°29, entrée le 30 août 1965.

1661.

Arrêté du 28 mai 1945 relatif aux salaires dans les commerces non alimentaires, cité et arrêté du 28 mai 1945 relatif aux salaires des employés de bureau et services annexes dont la fonction présente un caractère interprofessionnel, Journal Officiel du 31 mai 1945, rectificatif au Journal Officiel du 7 et du 15 juin 1945.

1662.

GBL, C14n°45, entré le 7 septembre 1951.

1663.

GBL, C5n°16, entrée le 15 septembre 1960 ; C5n°63, entrée le 3 septembre 1960 et C9n°51, entrée le 24 septembre 1960.

1664.

GBL, C17n°39, entrée le 2 octobre 1959.

1665.

GBL, C17n°14, entrée le 1er août 1959.

1666.

GBL, C1n°20, entrée le 8 janvier 1968.

1667.

Institut d'histoire sociale de la CGT, convention collective du 1er mai 1952, citée, article 39.

1668.

GBL, C10n°3, entrée le 21 septembre 1966.

1669.

Margaret Maruani et Chantal Nicole-Drancourt, La Flexibilité à temps partiel, Paris, La Documentation Française, 1989, p.41-42 et p.57.

1670.

GBL, C4n°41, entrée le 24 mars 1958.

1671.

GBL, C16n°1, entrée le 8 septembre 1958.

1672.

GBL, C3n°37, entrée le 3 août 1962.

1673.

GBL, C3n°26, entrée le 1er août 1951.

1674.

Décision du 22 mars 1946 portant classification des emplois des cadres dans les commerces de détail non alimentaires, Journal Officiel du 22 mars 1946.

1675.

GBL, C13n°3, entrée le 1er juin 1967.