1/ les titulaires

Ainsi, les 130 "B" embauchées dans cette période qui obtiennent le statut de titulaires sont présentes cinq ans et demi en moyenne (contre huit ans entre 1914 et 1936). 43 seulement sur les 129 dont on connaît le temps de présence, soit exactement le tiers, restent plus de cinq ans au Grand Bazar. La protection des emplois et les barèmes de salaires n'ont donc pas contribué à une stabilisation de la main-d'oeuvre, au contraire.

Le Grand Bazar demeure ainsi, comme avant 1936, une entreprise où l'on ne reste pas pendant toute sa carrière. Raymonde Devillard fait véritablement figure d'exception : elle est la seule femme "B" embauchée à moins de 25 ans et qui reste jusqu'à la retraite. Elle a à peine 22 ans à son entrée au Grand Bazar, en 1956, comme vendeuse à temps partiel. Titularisée 13 mois plus tard, elle travaille alors pendant 37 ans comme vendeuse et réserviste, sans la moindre promotion1717. D'autres salariées se stabilisent au Grand Bazar jusqu'à leur retraite (23 au total), mais elles et ils étaient plus âgées à leur embauche. Claudette Dimier est ainsi recrutée comme vendeuse à temps partiel en 1960, à 32 ans et reste jusqu'à l'âge de 60 ans1718. Andrée Drécourt ou André Diet sont même embauchées encore plus tard, à 55 ans et travaillent pendant dix ans, la première comme vendeuse et le second comme manutentionnaire1719. En majorité, les salariées titulaires du Grand Bazar quittent cependant le Grand Bazar après des temps de présence bien plus réduits, volontairement pour la plupart.

On connaît le type de sortie de 98 des 107 titulaires qui partent du Grand Bazar avant leur retraite. Il s'agit de 76 démissions, 17 licenciements, un décès, un départ pour le service militaire et trois départs pour un autre Grand Bazar. 30 démissions sont inexpliquées, auxquelles on peut rajouter sept sorties "pour raisons personnelles". Avec respectivement 15 et 11 occurrences, la santé et la famille demeurent, comme avant 1936, les principaux motifs de démission, la famille n'étant toujours invoquée que par des femmes. La maternité tient une place importante parmi les raisons familiales puisque six femmes partent du Grand Bazar à cette occasion. Eliane Delpino, par exemple, embauchée comme surnuméraire en novembre 1952, à 20 ans, est conservée à temps partiel par la suite puis titularisée après 18 mois de présence1720. Elle se marie peu de temps après et a un enfant en décembre 1955, date à laquelle elle demande au Grand Bazar un congé sans solde d'un an. Mais passé ce délai, elle ne revient pas au magasin. Les hommes n'hésitent pas, en revanche, à expliquer qu'ils ont trouvé un autre travail, motif de départ avoué par une femme seulement. Arlette Deleau, qui a travaillé six ans au Grand Bazar comme vendeuse, éprouve d'ailleurs le besoin de justifier l'intérêt de son nouvel emploi par rapport à des contraintes familiales, puisqu'il lui "permet de faire coïncider ses loisirs avec ceux de son mari"1721. Si les démissions portent ainsi la trace de l'insatisfaction quant aux rythmes de travail, elles montrent aussi que la faiblesse des salaires est source d'instabilité de la main-d'oeuvre. Deux salariées pourtant titulaires, un homme et une femme disent clairement quitter le Grand Bazar parce que les salaires y sont trop bas. Augusta Duquenoy, embauchée comme vendeuse à temps complet en juin 1964 et titularisée très rapidement, le 1er août, démissionne au mois d'octobre1722 et Guy Decker, entré comme manutentionnaire titulaire en août 1971, quitte le magasin sept mois plus tard1723.

Les motifs de 14 des 17 licenciements sont connus. Quatre femmes et un homme sont renvoyées pour vol. Emma Dalimier a 60 ans et travaille au Grand Bazar comme vendeuse depuis 12 ans lorsqu'elle est surprise avec de l'argent dans la poche de sa blouse1724. Guy Duchemin a encore plus d'ancienneté, il est manutentionnaire depuis 20 ans, en 1989, quand on le prend en train de voler une bouteille de pastis1725. Trois hommes sont licenciés pour absences non justifiées, parmi lesquels Gabriel Depond, manutentionnaire, après cinq ans de travail au Grand Bazar1726, et un dernier homme, Antoine Delapierre, à la suite d'une altercation violente avec son chef1727. Quatre renvois sont ensuite directement liés à la qualité du travail effectué, trois à l'issue d'une période d'essai non concluante et Marguerite Dadoun, embauchée comme 1ère vendeuse en 1967, licenciée huit mois plus tard, jugée de santé trop faible pour son poste1728. Gilberte Daguier, enfin, perd son poste de cheffe du personnel en 1964, 15 mois après son entrée, lorsque la direction décide de le supprimer1729.

Notes
1717.

GBL, C2n°9, entrée le 23 mars 1956.

1718.

GBL, C5n°16, entrée le 15 septembre 1960.

1719.

GBL, C14n°16, entrée le 23 septembre 1968 et C15n°36, entré le 5 octobre 1961.

1720.

GBL, C6n°61, entrée le 15 novembre 1952.

1721.

GBL, C1n°50, entrée le 13 mars 1954, lettre de démission du 29 janvier 1960.

1722.

GBL, C8n°22, entrée le 15 juin 1964.

1723.

GBL, C15n°24, entré le 2 août 1971.

1724.

GBL, C9n°4, entrée le 26 novembre 1956.

1725.

GBL, C13n°68, entré le 13 mai 1968.

1726.

GBL, C2n°45, entré le 20 février 1962.

1727.

GBL, C11n°51, entré le 15 mars 1972.

1728.

GBL, C13n°3, entrée le 1er juin 1967.

1729.

GBL, C13n°48, entrée le 4 juillet 1963.