b- les hommes manutentionnaires

Entre septembre 1951 et août 1974, 82 hommes ("B") sont embauchés comme manutentionnaires dans les rayons ou à la réception, quatre d'entre eux à plusieurs reprises, qui élèvent le nombre d'entrées à 87. Les emplois de manutentionnaires au Grand Bazar sont occupés essentiellement par des hommes jeunes. 58 des 87 embauches qui ont lieu dans la période, soit exactement les deux tiers, sont le fait d'hommes de moins de 28 ans. Les 29 autres ne se répartissent pas uniformément entre les tranches d'âge, puisque 14 ont plus de 55 ans.

Les quatre hommes qui entrent à plusieurs reprises ont moins de 28 ans et sont tous en cours d'étude. Au total, 26 des 54 manutentionnaires embauchés à moins de 28 ans sont lycéens ou étudiants. Les 28 autres jeunes sont, en majorité, des salariés non qualifiés. Pour l'étude de leur formation, on peut procéder à la même comparaison, par tranches d'âge, que pour les vendeuses. 11 d'entre eux sont ainsi nés après 1945. Trois n'ont pas le certificat d'études, deux qui mentionnent "niveau certificat" et un dernier qui, quasiment analphabète, ne parvient pas à remplir seul le formulaire "demande d'emploi" du Grand Bazar. Trois autres sont titulaires du certificat d'études et ne sont pas restés dans le système scolaire au-delà. Deux autres ont suivi une courte formation technique, l'un a le "niveau" CAP d'électricien (il a échoué à l'examen) et le second, Jean-Luc Delanne, est titulaire d'un CAP, dont il ne mentionne pas la spécialité. A 23 ans en 1974, ce dernier ne déclare pourtant avoir occupé que des emplois de manutentionnaire pendant les quatre années qui précèdent son embauche au Grand Bazar1765. Les trois derniers ont continué l'enseignement général après le certificat d'études jusqu'à la fin du collège, mais seul un d'eux a obtenu le BEPC (les deux autres mentionnent "niveau BEPC"). Tous n'ont alors occupé que des emplois non qualifiés, dans l'industrie la plupart du temps. Avant son entrée au Grand Bazar, Guy Decker, par exemple, 23 ans en 1971, qui dit avoir le "niveau CEP", a été "manutentionnaire" dans plusieurs entreprises puis "contrôleur de pièces"1766. Embauché comme titulaire, il démissionne après 7 mois de travail parce qu'il trouve son salaire insuffisant. Claude Dormoy est le seul qui fasse exception1767. Embauché à 24 ans, en décembre 1954, il était gérant d'une boutique de chemises pendant les 18 mois qui précèdent et vendeur auparavant, postes qu'aucun autre manutentionnaire du Grand Bazar n'a occupés. Il est d'ailleurs promu premier vendeur six mois après son embauche. Trois ans plus tard, il obtient un poste de chef de groupe, donc de cadre, au Grand Bazar du Bachut.

Les 29 hommes qui ont plus de 30 ans à leur entrée au Grand Bazar ne sont pas plus qualifiés que leurs cadets. 19 d'entre eux ne mentionnent rien dans la rubrique de la "demande d'emploi" normalement consacrée aux renseignements sur la formation, neuf autres disent avoir le certificat d'études et le dernier un CAP dont il ne donne pas la spécialité. Leurs parcours professionnels, en revanche, sont plus divers. On peut, schématiquement, distinguer trois grands types de parcours. Certains, d'abord, n'ont eu accès, comme les plus jeunes, qu'aux emplois non qualifiés de tous les secteurs d'activité. Guy Duchemin par exemple, embauché à 36 ans, en 1968, a d'abord été salarié agricole entre 17 et 19 ans, puis ouvrier dans plusieurs entreprises pendant trois ans, avant de se stabiliser comme emballeur chez Heudebert1768. Il y reste huit ans puis travaille les cinq années suivantes comme "nettoyeur" dans les locaux du journal Le Progrès. De ces deux emplois, il sort à la fermeture des entreprises. Entré au Grand Bazar comme auxiliaire à temps complet, il est titularisé quatre mois plus tard et y reste 21 ans avant d'être licencié pour avoir volé une bouteille de Pastis. Il est apparemment psychologiquement instable et c'est son neveu qui est en contact avec la direction du Grand Bazar pour la procédure de licenciement1769. La carrière de Gabriel Depond embauché à peu près au même âge (37 ans en 1962) est plus hachée1770. Après avoir été facteur auxiliaire pendant plus de 10 ans (périodes entrecoupées d'engagements dans l'armée, de 1941 à 1942 puis de 1952 à 1954), il a ensuite été emballeur, employé dans un restaurant-jeu de boule et a fait du nettoyage aux Transports en Communs Lyonnais. Entré comme titulaire à la réception, il est licencié moins de six ans plus tard pour des absences répétées. Pour d'autres hommes, le travail au Grand Bazar est un secours en fin de vie active, qui pallie la perte d'un emploi qu'ils ont occupé de longues années. Abel Delporte, par exemple, embauché à 58 ans, en 1964, vient d'être licencié pour raisons économiques de l'Arsenal, où il était serrurier depuis plus de 30 ans1771. Entré au Grand Bazar comme titulaire, il y reste sept ans, jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite. Elie Delphy, embauché à temps partiel en 1972, à 54 ans, était, lui, maçon, mais a dû quitter son dernier emploi après un accident du travail1772. Il reste un an et demi au Grand Bazar et démissionne pour raison de santé. Le dernier groupe, qui compte neuf hommes de plus de 55 ans, est constitué de retraités. Tous travaillaient dans des administrations (deux aux PTT), dans des entreprises publiques ou à statut (SNCF pour six d'entre eux et le dernier à l'Arsenal) où ils ont pu bénéficier d'un départ à la retraite avant 60 ans. Joseph Donsimoni et André Diet ont, tous les deux, fait carrière à la poste1773. Le premier est embauché au Grand Bazar à temps partiel, en 1960, à 59 ans. Il démissionne deux mois plus tard pour raisons de santé. Le second, recruté pour les fêtes de fin d'année en 1961, est titularisé le 1er janvier 1962 et reste 10 ans avant de "prendre sa retraite", à 65 ans. Jean-François Droux, enfin, chef de train lorsqu'il part de la SNCF en 1965, à 56 ans, entre au Grand Bazar comme titulaire. Il démissionne neuf mois plus tard pour raisons de santé1774.

Pour les manutentionnaires, contrairement aux vendeuses, la nationalité étrangère n'est pas un obstacle à l'embauche au Grand Bazar. Cinq des 27 "B" de moins de 28 ans qui ne sont pas étudiants ne sont pas français. Au total, neuf des 87 hommes embauchés au Grand Bazar comme manutentionnaires entre 1951 et 1974 n'ont pas la nationalité française. Tous viennent des anciennes colonies africaines de la France (ils sont embauchés à partir du milieu des années 1960, soit après l'indépendance de leurs pays d'origine). Cinq viennent du Maghreb, trois Algériens et deux Tunisiens, et les quatre derniers d'Afrique noire, un Camerounais, un Congolais, un Guinéen et un Ivoirien.

Notes
1765.

GBL, C8n°32, entré le 20 janvier 1974.

1766.

GBL, C15n°24, entré le 2 août 1971.

1767.

GBL, C15n°27, entré le 1er décembre 1954.

1768.

GBL, C13n°68, entré le 13 mai 1968 et CIRRIC, DR n° 02 3.467.112 R H 1.

1769.

Idem, lettre du 5 mars 1989 adressée au Grand Bazar.

1770.

GBL, C2n°45, entré le 20 février 1962 et CIRRIC, DR n° 02 3349502 J H 1.

1771.

GBL, C7n°22, entré le 21 avril 1964 et CIRRIC, DR n° 02 02D6933 H H 1.

1772.

GBL, C14n°72, entré le 2 octobre 1972.

1773.

GBL, C4n°50, entré le 14 mars 1960 et C15n°36, entré le 5 octobre 1961.

1774.

GBL, C10n°43, entré le 2 août 1965.