c- les femmes employées de bureau

Les postes de travail des bureaux ne sont pas tous classés au même échelon salarial, les "employées de bureau" sont au coefficient 140, les standardistes à l'échelon 150, les dactylographes et mécanographes à l'échelon 160. Ces différences salariales n'engendrent pourtant aucune distinction quant aux formations des 15 femmes "B" qui y sont recrutées entre 1951 et 1974. Ainsi, Monique Dhiver et Andrée Dailloux1775, qui ont toutes les deux suivies deux années de cours commerciaux, sont-elles embauchées, respectivement, comme "employée de bureau" et "standardiste-dactylographe", alors que Marguerite Duhem et Lucie Duguet1776, qui entrent aux postes de mécanographes et dactylographes ne sont titulaires que du certificat d'études. La direction du Grand Bazar ne définit donc pas des profils différents de salariées selon les postes de travail qui ne sont pourtant pas tous affectés au même coefficient salarial.

Les différences de formation des employées de bureau sont directement liées à la génération à laquelle appartiennent ces femmes. Marguerite Duhem et Lucie Duguet sont nées avant 1914, alors que Monique Dhiver et Andrée Dailloux sont nées dans l'entre-deux-guerres. Six autres femmes embauchées dans les bureaux sont nées pendant ou après la Deuxième Guerre mondiale, qui toutes (à l'exception de deux étudiantes bachelières embauchées comme auxiliaires) ont aussi suivi une formation d'une année ou deux aux emplois de bureau. Une seule est titulaire d'un CAP, d'agent polyvalent. Inversement, les deux autres femmes nées avant la Première Guerre mondiale n'ont pas de formation scolaire spécifique pour les emplois de bureau. Simone Dietrich, embauchée comme standardiste à temps partiel en 1962, à 52 ans, n'est, elle aussi, titulaire que du certificat d'études1777. L'évolution de la formation entre les différentes générations de femmes employées de bureau reflète l'évolution de la scolarisation des femmes françaises au cours des 60 à 70 premières années du 20e siècle, bien plus qu'elle ne traduit une "professionnalisation" des emplois de bureau et une spécialisation des salariées à ces postes. En effet, le parcours professionnel antérieur à l'entrée au Grand Bazar des jeunes femmes, de Monique Dhiver ou Andrée Dailloux, s'est tenu quasi constamment à l'écart des bureaux. Elles sont toutes les deux embauchées au Grand Bazar en 1965. Monique Dhiver a 31 ans et n'a encore jamais travaillé dans les bureaux1778. Avant son entrée au Grand Bazar, elle n'a été que peu active. A 19 ans, elle a, en effet, été ouvrière pendant quelques mois dans une usine de fabrication du papier, travail qu'elle abandonne lorsqu'elle se marie, en 1953. Pendant les douze années suivantes, jusqu'à son entrée au Grand Bazar, elle a deux enfants et ses seules activités salariées sont un emploi de vendeuse en épicerie pendant dix mois, en 1958, puis de femme de ménage à l'hôpital, pendant six mois, en 1961. Embauchée comme employée de bureau titulaire au Grand Bazar, elle démissionne 19 mois plus tard sans donner d'explication. Andrée Dailloux, qui entre au Grand Bazar à 43 ans, n'a travaillé qu'un an dans les bureaux, immédiatement après sa sortie de l'école1779. En 1939 et 1940 elle est, en effet, successivement secrétaire d'un notaire puis standardiste à la SNCF. Elle se marie peu de temps après son départ de la SNCF et se dit alors aide-familiale pendant six ans chez ses beaux-parents, viticulteurs en Saône-et-Loire, période pendant laquelle elle a trois enfants. Elle déménage à Lyon avec sa famille en 1947. Elle est alors serveuse pendant quatre ans dans un café, puis concierge les quatre années suivantes. A la naissance de son cinquième enfant, elle arrête toute activité salariée pendant 10 ans. Après un remplacement d'un an comme femme de ménage à la mairie de Bron (où elle habite) elle demande à entrer au Grand Bazar, à 43 ans. Recrutée comme standardiste-dactylographe titulaire en 1965, elle reste 17 ans au magasin, jusqu'à son départ en préretraite. De tels parcours professionnels sont bien proches de ceux des femmes embauchées au Grand Bazar comme vendeuses. Marguerite Duhem, en revanche, embauchée au Grand Bazar à 41 ans, en 1958, a, auparavant, occupé exclusivement des emplois de bureaux1780. Elle n'a travaillé que dans deux industries, neuf années comme mécanographe dans la première, puis neuf autres années comme aide-comptable dans la seconde. Elle démissionne de ce dernier emploi pour soigner ses parents malades et entre au Grand Bazar deux ans plus tard, lorsqu'ils sont morts. Elle part du Grand Bazar après quatre années de travail, "pour raisons personnelles".

Au Grand Bazar, le recrutement aux emplois de bureau n'accorde pas beaucoup plus d'attention à l'expérience professionnelle ou aux diplômes que pour les postes de vente. Pourtant, comme les vendeuses, toutes les salariées des bureaux ne sont pas classées au même échelon salarial, mais ce classement ne semble pas entraîner de distinctions quant aux qualifications requises des femmes recrutées. La hiérarchie salariale mise en place dans les classifications ne se traduit donc pas par la constitution d'un ou plusieurs groupes professionnels "d'employées de bureau".

Notes
1775.

GBL, C7n°29, entrée le 30 août 1965 et C16n°57, entrée le 9 février 1965.

1776.

GBL, C16n°1, entrée le 8 septembre 1958 et C4n°41, entrée le 24 mars 1958.

1777.

GBL, C3n°37, entrée le 3 août 1962 et CIRRIC, DR n° 02 3146895 R F 2.

1778.

GBL, C7n°29, entrée le 30 août 1965 et CIRRIC, DR n° 02 3.756.531 W F 2.

1779.

GBL, C16n°57, entrée le 9 février 1965 et CIRRIC, DR n° 02.3.236.471 ZF2.

1780.

GBL, C16n°1, entrée le 8 septembre 1958 et CIRRIC, DR n° 02.3.171143 XF2.