c- les étudiant-e-s

Le repérage des étudiantes parmi les salariées embauchées au Grand Bazar se heurte, comme pour les pluriactives et pluriactifs, à un problème de source. Aucune rubrique du formulaire "demande d'emploi" ne prévoit la mention d'une poursuite d'étude. Certaines indiquent alors "étudiante", "lycéenne" ou "en cours d'étude" dans l'espace normalement réservé aux emplois antérieurs, d'autres l'ont écrit dans leur lettre de candidature. Mais ce dernier document n'a pas été conservé, voire n'a pas été nécessaire pour toutes les entrées et les salariées ont pu, alors, faire connaître leur statut à la direction du magasin au moment de leur entretien d'embauche. Pourtant, malgré leur sous-estimation possible, le nombre d'entrées de "B" recensées comme étant celles d'étudiantes est très important puisqu'il s'élève à 136, soit le cinquième des embauches de la période 1951-1974.

Ce groupe constitue une main-d'oeuvre particulière dans la mesure où toutes considèrent leur emploi au Grand Bazar comme temporaire. Aucune d'entre elles et eux n'entre comme titulaire et aucune n'est titularisée. Henri-Claude Decleire est l'étudiant qui reste le plus longtemps au Grand Bazar, 10 mois et demi1797. Il travaille pendant 10 mois à temps partiel pendant l'année scolaire, du 17 septembre 1966, au 31 juin 1967. Mais la grande majorité reste beaucoup moins longtemps : 128 sur 136 travaillent moins de trois mois au Grand Bazar. Le principal mode d'emploi des étudiantes et lycénnes est, en effet, celui d'auxiliaire à temps partiel et la période de travail privilégiée est celle des vacances scolaires. Les étudiantes représentent alors presque la moitié (114 sur 254) des "B" embauchées comme auxiliaires à temps complet et, parmi ces dernier-e-s, les deux tiers (88 sur 133) de celles et ceux qui sont embauchées pour les congés payés.

Tableau n°64 : Mode d'emploi des étudiantes et lycéennes ("B") embauchées entre le 1er septembre 1951 et le 31 août 1974.
Mode d'emploi Femmes Hommes Total
Auxiliaire à tps complet 88 26 114
Auxiliaire à tps partiel 10 8 18
Stagiaire 1 0 1
Inconnu 3 0 3
Total 102 34 136

Les emplois pour les congés payés, qui apparaissent en 1957 au Grand Bazar, sont quasiment immédiatement occupés par des étudiantes. C'est, en effet, en 1958 que sont recrutées les premieres étudiantes (B) pendant leurs vacances d'été. Eliane Dussol, étudiante à l'école d'interprètes de Genève est ainsi vendeuse pendant deux mois au Grand Bazar, de mi-juillet à mi-août 19581798. L'apparition de ce nouveau type d'emplois "pour les congés payés", au Grand Bazar comme sans doute dans tous les commerces voire dans certaines industries, rencontre ainsi une nouvelle demande d'emplois temporaires, celle des étudiantes. Le système universitaire connaît, en effet, de profondes mutations à partir de la fin des années 1950. La fréquentation des universités françaises entre dans une phase de forte croissance, à laquelle Lyon, vieille ville universitaire, n'échappe pas. Le nombre d'étudiantes passe de 200 000 en 1958 à 500 000 en 1968 puis 750 000 en 19741799. Une telle croissance de l'enseignement supérieur s'accompagne alors d'une "démocratisation" relative de son recrutement et provoque un phénomène social nouveau : le travail d'étudiantes qui doivent financer leurs études. Certaines étudiant-e-s, Henri-Claude Decleire par exemple, travaillent alors à plusieurs reprises au Grand Bazar. Outre son emploi à temps partiel pendant l'année universitaire, il travaille pendant les étés 1966, 1968 et 1969.

Si les étudiantes sont majoritairement embauchées à temps complet pendant les mois d'été, certaines entrent aussi à temps partiel dès les premiers recrutements. Louis Draillard est ainsi "releveur de caisse" deux heures par jour en juillet 19571800 et Anne Devigan vendeuse les samedis et lundis de février à novembre 19581801. La sexuation des emplois à temps partiel en vigueur chez les salariées non étudiantes n'est pas respectée parmi les étudiant-e-s, puisque huit des 18 étudiantes "B" à temps partiel sont des hommes. Les étudiants représentent alors, à eux seuls, presque la moitié des hommes embauchés à temps partiel au Grand Bazar entre 1951 et 1974. Lorsqu'il est "choisi" le temps partiel peut donc l'être par des hommes comme par des femmes.

Ces modes d'emploi et en particulier la prédominance des emplois d'auxiliaires à temps complet signifient alors que la quasi totalité des étudiantes sont embauchées comme vendeuses et des étudiants comme réservistes. Ce ne sont donc pas leurs compétences mais bien leur disponibilité estivale qui est recherchée.

Tableau n°65 : Répartition par poste des étudiantes et lycéennes embauchées au Grand Bazar entre le 1er septembre 1951 et le 31 août 1974.
Postes Femmes Hommes Total
Vendeuse 76 0 76
Réserviste 2 27 29
Releveur de caisse 0 2 2
Non mentionné 24 5 29
Total 102 34 136

La mise en place des classifications professionnelles, qui fondent la hiérarchie des postes sur les compétences qu'ils requièrent, n'a pas incité les patronnes de commerce à prêter une plus grande attention aux savoir-faire de leurs salariées. Comme avant 1936, celles et ceux qui sont recrutées au Grand Bazar entre 1951 et 1974 étaient, voire sont toujours au moment de leur embauche, ouvrières ou ouvriers, femmes de ménage, manutentionnaires, vendeuses, parfois indépendant-e-s, plus rarement employées de bureau, dans le commerce, l'industrie ou les services aux personnes. Les carrières reconstituées à partir des dossiers de retraite confirment l'instabilité sectorielle des parcours et l'hétérogénéité des postes de travail occupés par ces salariées au cours d'une vie active.

Notes
1797.

GBL, C6n°4, entré le 17 septembre 1966.

1798.

GBL, C4n°18, entrée le 17 juillet 1958.

1799.

Antoine Prost, "Le Temps de la prospérité", dans Jacques Marseille (dir.), Puissance et faiblesse de la France industrielle, XIXe-XXe siècles, Paris, Seuil, 1997, p.229-252.

1800.

GBL, C2n°30, entré le 10 juillet 1957.

1801.

GBL, C8n°4, entrée le 22 février 1958.