Alexandre Odobescu, historien roumain, organise en 1864 le premier musée d’archéologie de Roumanie. En 1901, Spiru Havet, titulaire du ministère des cultes et de l’instruction publique, adresse au Roi Carol Ier une demande de création d’un musée d’Arts Nationaux. Le projet prévoyait de collecter tous les vestiges des productions artistiques du passé de la Roumanie encore existants : broderies, tissus, peintures, sculptures, enluminures. Havet concevait le musée comme un appendice de l’Ecole des Arts Nationaux. Il fallut patienter jusqu’au premier octobre 1906 pour que le Musée Ethnographique d’Art National voie le jour. A cette époque, l’institution prenait place dans l’aile gauche de l’hôtel de la monnaie. En 1912, le musée change de nouveau de nom pour devenir le Musée d’Art National Carol Ier. Par décret royal, Alexandru Tzigara-Samurcas est nommé directeur du musée. Il le resta de 1906 à 1948. Homme d’envergure, premier personnage roumain à être titulaire d’un doctorat d’histoire de l’art, organisateur de plusieurs expositions en
Europe, il milita longtemps pour la création d’un grand musée national.
Déjà, il considérait le musée dans sa dimension politique : ‘« l’existence d’un musée national qui reflète l’état artistique et culturel du peuple roumain s’impose avec encore plus de force aujourd’hui, quand les Roumains vivent enfin dans un seul et même pays. Car c’est dans un tel musée que l’on peut mieux mettre en évidence l’ancienneté et l’homogénéité d’un sentiment artistique qui anime notre peuple, la richesse de l’héritage artistique et culturel et son indissoluble unité ethnique »’ 12.
A leur arrivée au pouvoir en 1948, les communistes remercient Samurcas et renomment l’institution Musée National d’Histoire Populaire. Cette nouvelle appellation est révélatrice d’une première rupture dans les intentions muséographiques qui s’est poursuivie de manière radicale pendant toute la période communiste. En 1951, le bâtiment devient le siège du Musée du Parti Communiste Roumain. Les collections ethnographiques sont déménagées, en 1953, dans un autre immeuble qui devient le Musée d’Art Populaire de la République Socialiste de la Roumanie, lequel fusionnera en 1978 avec le Musée du Village de Bucarest. Quant à l’édifice de la chaussée Kiseleff, il sera occupé dans un premier temps par le Musée d’Histoire du Parti Ouvrier Roumain, puis par le Musée d’Histoire du Parti Communiste Roumain.
En février 1990, le Ministre de la Culture Andrei Plesu, dans un souci de retrouver le projet initial de l’institution, crée le Musée du Paysan Roumain et les anciennes collections réintègrent le bâtiment de la chaussée Kisseleff. Une équipe, issue de l’Institut d’ethnographie et de folklore, se constitue autour de Horia Bernea avec la ferme intention de mener un projet d’anthropologie à partir de la figure du paysan
roumain. En cette période tourmentée, Irina Nicolau écrivait dans son journal : « ‘janvier 1990 : on tire encore dans les rues pendant la nuit. Ce matin avec Speranta Radulescu, j’ai fais des enregistrements dans le cimetière des Héros. Effrayant.’
‘On propose à Horia Bernea de devenir directeur du Musée d’Art Populaire. Celui que « nea Nicu » a supprimé à l’occasion du tremblement de terre de 1977.’
‘A l’institut, il n’y a aucun signe de changement. Six d’entre nous décidons de partir au nouveau musée. J’en ai assez d’écrire des livres qu’on ne publie pas ou s’ils paraissent sont lus par quelques centaines de personnes. Le musée se présente comme un lieu où il est possible de lutter. Pour contester les anciennes images du paysan, toutes ces images, mais surtout la caricature imposée par les communistes. Ce musée sera un lieu où il est possible de lutter contre le laid, le mauvais goût, la démagogie, le mensonge. Horia Bernea possède un goût absolu » ’ 13. Les propos enthousiastes d’Irina Nicolau présagent du désir d’un renouvellement de la pensée. La singularité du projet réside dans la perspective adoptée par la nouvelle équipe. D’une part, un engagement politique : le rétablissement de la continuité avec le projet initial entraînant du même coup une rupture fondamentale avec l’esprit qui l’a précédé. D’autre part, un engagement intellectuel qui consiste à développer une réflexion sur l’approche esthétique de l’objet. La proposition consiste à détacher l’objet de son contexte social et symbolique, considérant que sa monstration n’a de sens que si elle en révèle la beauté ou la force. Ici, la sensibilité artistique de Horia Bernea, directeur du musée depuis 1990 mais aussi l’un des plus grands peintres roumains, marque de manière décisive la conception muséographique de l’objet.
‘« Dans les musées d’ethnographie c’est la beauté de l’objet qui me manque. Les liens secrets entre les choses, mystérieux comme leur création. Dans le musée ethnographique, la beauté de l’objet est négligée de propos délibéré, comme si c’était quelque chose de honteux. J’ai en horreur le monde de présentation, l’obsession des explications, la protection excessive. Ces musées finissent par annuler l’objet. On ne le voit plus ! Et, s’il arrive que la beauté perce quand même, c’est que l’objet a été trop fort »14.’A.Tzigara-Samurcas. « La tragédie du Musée d’Art National », 1930. Texte repris dans Martor, revue d’anthropologie du musée du paysan roumain, n°1, 1996, p. 187.
Nicolau I, « Le musée du paysan roumain, histoire et histoires » in Romania. Construction d’une nation. Ethnologie française, 1995/3, p. 418.
Bernea. H, « Le musée ? Une opération de connaissance libre » in Martor, n°1, 1996, Le Musée du Paysan Roumain, Bucarest, p.203.