2) Parcours ethnologique : de l’objet aquatique à l’objet minéral

« ‘Dans un sens immédiat aussi bien que symbolique, et corporel aussi bien que spirituel, nous sommes à chaque instant ceux qui séparent le relié ou qui relient le séparé’ »20. Doué de ces facultés, l’homme peut à loisir choisir de construire ses passages. En filant toujours la métaphore fluviale, je décidais de jeter un pont entre les deux rives de ce parcours ethnologique, la France et la Roumanie par prolongement de cette réflexion hors de nos frontières. Très naturellement, j’ai commencé à envisager de poursuivre en Roumanie le travail élaboré au sein de la Maison du Rhône.

Forte de ce très court séjour dans le delta, le Danube largement présent en Roumanie m’apparaissait à plus d’un titre comme un objet de recherche non dénué d’intérêt : il constitue la frontière sud du pays avec la Bulgarie et se transforme en delta à l’est du pays. Mais les conditions de travail et le temps à ma disposition (un an) ont eu raison de ce travail de comparaison entre le Rhône et le Danube. Ce n’est pas en désespoir de cause que je décidai de travailler sur la rivière qui traverse Bucarest, la Dîmbovita, mais bien parce qu’il me semblait qu’il y avait là matière à mener une étude. En effet, l’occasion se présentait de travailler sur la question de l’eau et de la ville, sur la confrontation de deux espaces, qui dans le cas de Bucarest avaient des caractéristiques symboliques particulièrement intéressantes. Le travail s’annonçait passionnant. Initialement, le projet de DEA consistait en l’étude de la rivière du point de vue de son histoire dans l’espace urbain, des pratiques qu’elle engendre et des représentations qu’elle suscite. Le hasard a voulu que, quelques jours avant mon départ, Arte programmât un documentaire sur Bucarest21. Ma surprise fut grande de voir le lit bétonné de la rivière sans une trace d’eau le recouvrant, si vide qu’un homme se promenait dans cette ceinture de béton et, au lieu d’y trouver de l’eau, ramassait une médaille du parti communiste. J’allais donc partir quelques jours plus tard, pour travailler sur une rivière sans eau, et dans le lit de laquelle on pêchait des insignes politiques. Je partais déconcertée mais d’autant plus impatiente de voir cela de mes propres yeux.

Notes
20.

Simmel G, « Pont et porte » in La tragédie de la culture. Rivages poche/Petite bibliothèque, 1988, p.162.

21.

Bucarest, visages anonymes. Documentaire de Marta Bergman et F. Fichet.