« ‘C’est à l’homme seul qu’il est donné, face à la nature, de lier et de délier, selon ce mode spécial que l’un suppose toujours l’autre. En extrayant deux objets naturels de leur site tranquille pour les dire « séparés », nous les référons déjà l’un à l’autre dans notre conscience, nous les détachons ensemble de ce qui s’intercalait entre eux ’»22. Toutes les réflexions théoriques sur le Rhône auxquelles j’avais participé ne devaient pas influencer ma recherche et me conduire à l’écueil suivant : investir la Dîmbovita de la valise théorique de la Maison du Rhône parce qu’il s’agissait là d’une rivière à l’étranger et, de surcroît, dans un contexte urbain dont l’histoire est singulière. C’est à partir de la notion de « fleuve analyseur » développée par la Maison du Rhône que la recherche débuta si on voulait bien accepter l’hypothèse que la rivière de la capitale pût être considérée comme un miroir de la ville, ou plus exactement comme révélateur du projet d’aménagement d’une nouvelle partie de la ville, orchestré par un seul homme, Nicolae Ceausescu23. La Dîmbovita semble être un élément à partir duquel on peut lire ou entrevoir les changements qui se sont opérés dans cette ville durant la décennie 80-90. Chemin faisant, la problématique se dessinait. Je me remémorais le documentaire vu quelques jours auparavant, le lit bétonné vide de son eau, la médaille. Le béton allait constituer le fil de la recherche. Effectivement, à l’occasion des discussions et des observations, il s’avérait que loin de pouvoir être considérée en elle-même, la Dîmbovita faisait partie de l’ensemble du projet de « systématisation »24 de la capitale. Esthétiquement transformé, idéologiquement marqué, cet espace qui traverse la ville n’existait plus dans l’imaginaire des Bucarestois, comme si la rivière avait disparu, avait été volée. Elle n’est ni le lieu de pratiques urbaines, ni un repère spatio-temporel, elle ne semble être que le miroir du régime politique conduit, à l’époque de la systématisation, par Nicolae Ceausescu. Si l’absence découlait de l’aménagement, alors ce dernier allait devenir l’objet de l’étude.
Ibid, p161.
Président de la République Socialiste de la Roumanie de 1965 à décembre 1989. Il sera longuement question de lui dans la deuxième partie de ce travail.
La systématisation consistait en la réorganisation de l’appareil de production et de l’espace. L’industrie et l’aménagement de l’espace constituent les éléments centraux d’une politique qui visait à la construction de la nouvelle société roumaine. Cette question de la systématisation sera abordée plus longuement à la fin de cette première partie.