La mégalomanie, sujet médiatique - objet anthropologique

Par principe, la ferveur médiatique du début de l’année 1990 concentra son attention sur quelques sujets dont certains deviendront de véritables leitmotivs attachés à l’image de la Roumanie. Je mets au défi quiconque de ne pas se souvenir des enfants de la rue vivant dans les catacombes du métro de Bucarest, des orphelinats du pays et des visages des bambins perdus entre les barreaux d’un lit, nouvelles icônes médiatiques résumant, en la simplifiant à l’extrême, toute la « barbarie » d’une nation, l’abandon de toute forme d’humanité. Parmi ces sujets récurrents, la presse pendant quelques semaines, puis les maisons d’édition pendant quelques mois, se sont faites l’écho de l’autre face de la « barbarie » roumaine, le couple Ceausescu, icônes du pouvoir et de ses dérives extrêmes. La mégalomanie, la cruauté, la méchanceté, l’inculture du couple furent maintes fois signifiées à travers l’énonciation de leurs actes en tant que dirigeants responsables de cette perte d’humanité ; chaque fait ou geste - politique, diplomatique, esthétique - étant la conséquence de cette inhumanité incarnée. Le couple Ceausescu s’est effondré sous l’oeil des caméras, comme si l’ultime issue devait elle aussi reflétée cette barbarie médiatisée. Le Palais du Peuple est l’incarnation d’un de ces gestes mégalomanes qui a fait l’objet d’une attention particulière de la part des commentateurs de l’époque. Dès lors, elle s’ajoute à la liste déjà longue des « icônes barbares » dont la nation roumaine est dépositaire. Mais la ferveur médiatique s’est, par définition, déplacée et a tourné son oeil scrutateur vers d’autres horizons, mises à part quelques incursions par-ci par là des orphelins ou des enfants des rues dans les média, fantômes dont la Roumanie ne pourra jamais se débarrasser. Quel choix étrange, dès lors, quelques années plus tard, de revenir sur un espace témoin de cette époque maudite. Les réticences furent équitablement partagées entre Français et Roumains sur le choix d’un objet dont l’existence ne pouvait être que le fruit attesté d’une mégalomanie excessive qui ne supporte toute autre forme d’explication en dehors d’elle-même.