Les signes du pouvoir

La première attitude consiste à s’interroger sur les raisons de cette relation entre le pouvoir et l’architecture, puis sur la nature de ces relations. La pratique du pouvoir s’accompagne automatiquement d’une transfiguration de celui-ci, par une opération de transposition du pouvoir en signes. Georges Balandier évoque le processus ainsi : ‘«le pouvoir établi sur la seule force, ou sur la violence non domestiquée, aurait une existence constamment menacée ; le pouvoir exposé sous le seul éclairage de la raison aurait peu de crédibilité. Il ne parvient à se maintenir ni par la domination brutale, ni par la justification rationnelle. Il ne se fait et ne se conserve que par la transposition, par la production d’image, par la manipulation de symboles et leur organisation dans un cadre cérémoniel ’»67. La production de symboles est un garant de l’ordre de chaque société qui, en leur absence, ne pourrait se maintenir : ‘« la société ne tient pas par le seul moyen de la coercition, des rapports de force légitimés, mais aussi par l’ensemble des transfigurations dont elle est, à la fois, l’objet et le réalisateur. Son ordre reste vulnérable ; il est porteur de perturbations et désordre, eux-mêmes générateurs de ruses et de dramatisation montrant le pouvoir au négatif’ »68. Le pouvoir pour se maintenir doit être en mesure de produire des signes.

Louis Marin développe une idée similaire lorsqu’il considère que le pouvoir c’est ‘« être capable de force, avoir une réserve de force, une force qui ne se dépense pas, mais qui est en état de se dépenser’ »69. Pour que cette force non dépensée soit efficace, elle est transmuée en signes à travers l’acte de représentation comprise comme ‘« cette façade où émerge, se résume, s’épuise un fond (...) du pouvoir ’»70. L’acte de force, donc de pouvoir ne s’exprime qu’au travers des signes de la force ‘« ce qui est en jeu dans le jeu des signes, ce n’est pas de cacher la force, mais de faire croire à la réalité de ce qu’ils simulent. Les signes dans cette mesure, sont le pouvoir et le pouvoir n’est que l’effet irrésistible de ce que l’on pourrait nommer leur texte, le texte du lieu que les signes construisent »’ 71. Si l’on reconnaît au pouvoir la nécessité pour se maintenir, pour durer, d’un investissement symbolique, l’architecture peut représenter l’un de ces signifiants. Jacques Dewitte affirme qu’il y a ‘« une fragilité inhérente à la vie politique qui cherche dans l’architecture un soutien plus durable ; elle a besoin de ces traces ou auto-représentations que sont les édifices’ »72. L’architecture correspond donc à la manifestation d’un signe, à une représentation symbolique du pouvoir.

Notes
67.

Balandier G.,Le pouvoir sur scène. Balland, 1980.

68.

Balandier G., Le pouvoir sur scène. Ed.Balland, Paris, 1980.

69.

Marin L., « Le lieu du pouvoir à Versailles » in Des hauts-lieux. La construction sociale de l’exemplarité. Editions du CNRS, 1991, p. 121.

70.

Ibid. p. 121.

71.

Ibid. p. 121.

72.

Dewitte J., op.cit, p. 119.