L’architecture, une cosmologie politique

La perspective selon laquelle l’architecture serait au service d’une représentation du pouvoir nous conduit à estimer que ce dernier se donne à voir de manière singulière à l’instar d’une représentation du monde mais dans le cadre d’une théâtralité politique.

De nombreux lieux instaurent une relation entre la forme et l’idée et deviennent ainsi les textes faits de pierre d’une cosmologie politique. En suivant cette filiation théorique, on peut affirmer que la dramaturgie politique telle qu’elle peut s’exprimer dans l’architecture traduit, et cela de manière non équivoque en ce qui concerne le Centre Civique de Bucarest, une représentation du monde, ‘« une cosmologie traduite en oeuvre et en pratique’ » selon les termes de Georges Balandier73. Versailles n’est que l’éclatante manifestation, voire un aboutissement de la traduction du pouvoir en signes du pouvoir.

Les signes sont présents dans la décoration des appartements du Roi où histoire et mythes sont érigés en motifs décoratifs : « ‘c’est un véritable manuel illustré et didactique des dix premières années du règne personnel de Louis XIV qui est déployé aux plafonds des appartements du Roi : les vertus du monarque ; les succès diplomatiques ; le développement de la marine et du commerce ; la protection accordée aux lettres et aux sciences ; la politique des bâtiments. A l’histoire métallique du Roi fait pendant son histoire peinte d’après la fable et l’Antiquité’ »74. Le traitement des jardins et des paysages, conquit sur la nature, met en scène le roi dans ses relations avec l’univers (le jardin du roi), avec la nature

(la ménagerie), les mondes lointains (le Trianon de porcelaine. « ‘Fête, fable, univers, et déjà histoire. Le premier Versailles est un monument du pouvoir du roi. Il en proclame la gloire, en lui-même et par la littérature qui le célèbre, et il en fonde la réputation qui « fait elle seule plus que les armées les plus puissantes »75. Versailles est la demeure d’un soleil qui se met à ressembler au roi ’». Puis, vient le moment des dépassements des références où l’histoire du Roi s’émancipe de toutes références. L’histoire du Roi ne peut plus être mesurée avec celle d’autres grands hommes ou grands mythes, mais l’histoire du Roi, seule, devient l’unique référence, ‘« l’histoire du roi passe maintenant au premier plan, cette histoire qui est un savoir, source de pouvoir’ »76. Versailles en tant qu’oeuvre architecturale d’auto-référence ou d’auto-représentation du Roi se confond avec la figure du roi, Versailles et le Roi ne formant qu’une seule entité, un même corps : « ‘Versailles est le roi, Louis, le Grand, opérateur des miracles de son règne, et rien de plus. Versailles ne ressemble à rien, sinon aux imitations qu’il a suscitées’ »77. La logique de l’incarnation d’un personnage, d’une figure dans un cadre bâti place la composition architecturale au rang d’oeuvre unique, de production miraculeuse du paysage.

Notes
73.

Balandier G., Le pouvoir sur scènes. Balland, 1980.

74.

Pommier E., « Versailles, l’image du souverain » in Les lieux de mémoire. Tome 1, le matériel, l’Etat, pp. 1253-1281.

75.

Louis XIV, cité par Jean-Pierre Labatut, Louis XIV, roi de gloire, Paris, Imprimerie Nationale, 1984, p184; et repris par Edouard Pommier in Op.Cit, p. 206-207.

76.

Pommier E., in Op.Cit, p208.

77.

Ibid, p222.