La dimension ethnologique de l’architecture

A la lumière de ce catalogue de choix qui apparaissent comme étranges et de cette interrogation spécifique sur l’architecture, le recours à la spécificité du champ

disciplinaire apparaît comme nécessaire. Une des manières d’aborder la question de l’architecture si l’on n’est ni architecte, ni théoricien de l’architecture mais ethnologue, consiste à considérer, en premier lieu, l’architecture et ce qu’elle engendre comme élément de culture.

Le Centre Civique représente en soi un « exercice de ville » symptomatique d’une vision du monde dont il nous importe de saisir les fondements.

Il est le résultat d’une double construction. L’une matérielle qui implique l’utilisation de techniques, savoir-faire, matériaux particuliers. L’autre, une construction sociale qui, faisant appel à une dimension symbolique, concerne la société tout entière dont le nom même de « Centre Civique » fait implicitement référence.

L’intervention sur un espace est un geste inaugural et non gratuit, qui à travers les formes qu’il propose et les moyens dont il dispose, instaure une relation de l’homme

au monde. L’intérêt que l’on manifeste à toute forme d’expression architecturale nécessite que l’on porte notre attention au contexte de son émergence, à l’univers dans lequel elle est produite.

« ‘Comment peut-on avoir une approche ethnologique de la ville’ ? » est la question que pose Vintila Mihailescu à la fin du deuxième paragraphe d’un article qu’il consacre aux modes de sociabilité dans un immeuble de Bucarest125. J’ai envie de commencer en posant une question similaire : ‘« comment peut-on avoir une approche ethnologique du Centre Civique ? ’».

En effet, un ensemble architectural et urbanistique moderne n’est pas un objet traité traditionnellement par la discipline ethnologique, mais plutôt laissé aux bons soins des théoriciens de l’art ou de l’architecture dont les analyses font trop peu cas du geste humain qui en est pourtant à l’origine. Or, qu’est-ce que l’architecture sinon une manifestation singulière de l’homme dans une société donnée, se matérialisant dans un lieu ou un espace ? En ce sens, elle mérite ce regard particulier et tellement complémentaire aux autres disciplines qu’est celui d’un ethnologue.

L’architecture est, au même titre que les autres manifestations culturelles et sociales, un mode d’expression d’une société donnée. Parce que l’architecture est un geste humain, qu’elle est le résultat d’une élaboration culturelle, elle intéresse tout particulièrement l’ethnologue. De quelle manière l’anthropologie peut-elle se saisir de la question de l’urbanisme et de l’architecture ?

Le terme d’architecture renvoie à deux niveaux de connaissance. En premier lieu, celle relative à l’habitat et à l’organisation sociale de l’espace. En ce sens, l’architecture doit être considérée comme ‘« une forme d’expression fondamentalement sociale dont le langage utilise le concept (au contenu variable) d’espace et rend compte d’une conscience sociale de l’espace ’»126. De ce premier niveau d’approche, on retiendra qu’il est la spatialisation d’une manifestation sociale et culturelle. Or dans un second temps, l’architecture, par l’acte même de spatialisation, crée, à travers les constructions matérielles qu’elle élabore, un ensemble de signes qui « ‘rend compte d’une vision du monde et de la position de l’homme dans ce monde ’»127. L’architecture comprise à travers l’élaboration de ces objets entendus comme une formulation d’une conception du monde128 contient une valeur sociale. Que signifierait alors une ethnologie de l’architecture. Dominique Reynaud129 distingue deux domaines d’investigation. L’un serait « ‘une ethno-technologie liée à la construction, aux techniques, aux modes de production, aux types de construction ’». L’autre, une anthropologie de l’espace ‘« centrée sur les systèmes de structuration, les types d’opérations pratiquées sur l’espace, enfin les formes de représentation’ ». Pour l’auteur, le dessein d’une anthropologie de l’architecture consiste à pratiquer « une archéologie du projet », c’est-à-dire se concentrer sur l’origine sociale des représentations architecturales. Ceci est la troisième voie d’une approche ethnologique de l’architecture dont les deux premières pourraient se concentrer sur ‘« les techniques considérées du point de vue de l’adaptation aux contraintes physiques »,’ ou ‘« la construction envisagée du point de vue des comportements gestuels qui visent à matérialiser l’idée d’un édifice ’»130. La troisième voie, celle qui s’attache à élucider les fondements imaginaires de l’architecture au travers des images, mythes ou symboles présents dans le projet architectural, consiste en une analyse des formes qui soit en prise directe avec le contexte dans lequel elles ont été produites. Cette approche a comme corollaire une attention portée « ‘aux représentations sociales de l’édifices déjà construit’ ».

Notes
125.

Mihailescu V., Nicolau V, Gheorghiu M., « Bloc 311. Résidence et sociabilité dans un immeuble d’appartements sociaux à Bucarest » in Romania, constructions d’une nation. Ethnologie Française, XXV, 1995, 3, pp 484-495.

126.

Bonte P, Izard M, « Architecture » in Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie. PUF, 1991, p. 79.

127.

Ibid, p 79.

128.

Cerclet D., « Architecture et construction du rapport à la nature, l’exemple du baroque » in Architecture et nature. Contribution à une anthropologie du patrimoine. Centre de Recherches et d’Etudes Anthropologiques (CREA). PUL, 1996, p. 150.

129.

Reynaud D., Architecture comparée. Essai sur la dynamique des formes. Editions Parenthèses, Marseille, 1998, p. 10

130.

Ibid. p. 10.