IV) LE CAS ROUMAIN

1) Vers une nouvelle société roumaine

La philosophie : l’idéologie de l’homme nouveau

Les régimes totalitaires du XXème siècle se sont développés à partir d’une assise idéologique qui posait comme principe de renouvellement de la société la création de « l’homme nouveau », un mythe récurrent dans les régimes dits « totalitaires » où l’on retrouve toujours l’idée de création d’un nouvel homme, d’une nouvelle société, d’un nouvel univers. La refonte du matériau humain est à l’origine du projet d’édification d’une nouvelle société, quand bien même les caractéristiques de cet « homme nouveau » varient d’un état totalitaire à un autre. Ce projet se fonde sur le mythe de l’unité entre tous « ‘qu’il s’exprime par la race, le peuple ou les masses’ »142 dont l’objectif est l’élimination des différences de tous ordres. Dans le cas des régimes communistes, le nouveau programme prévoit la disparition des inégalités sociales et la suppression des classes sociales.

Bien que ces régimes refusent par essence toute forme de religion - autre discours sur la création de l’univers - leurs principes et leurs actions s’apparentent fortement à une réelle profession de foi concernant la création d’une nouvelle société. D’ailleurs, le paradoxe construit autour de la haine de la religion et cette religiosité effective des gestes et des paroles est, selon Sorin Vasilescu, un des invariants des régimes totalitaires  : «‘Les soviétiques avaient, malgré toute leur virulente propagande antireligieuse, la plus mystique conception sur le parti, l’infaillible parti (...). Mussolini qui a signé avec le Vatican un concordat encore valable aujourd’hui, acte fondamental qui sépare totalement l’église de l’état, le fascisme, malgré le fait qu’il représente un moment éphémère de l’histoire, avait en soit quelque chose de mystique, religieux et le culte pour la patrie se métamorphosait en culte pour le Duce qui était de nature quasi religieuse, ses pensées et son image ayant une valeur sacro sainte’ »143. Vintila Mihailescu identifie lui aussi le projet de création de « l’homme nouveau » en des termes de création. L’intérêt que porte la vision communiste pour la création de « l’homme nouveau » trouve son fondement dans la théorie évolutionniste Vintila Mihailescu : « le communisme est la dernière variante de l’idéologie évolutionniste »144. Pour l’auteur, une fois la divinité tuée par l’homme, celui-ci a tenté de recréer « l’ancien ordre de la croyance dans le nouveau monde de la nature »145. Le communisme ne serait alors que l’imitation ou la singerie de la foi dans un monde profane et donc, à partir de là, «‘la vision communiste place l’homme entre deux paradis terrestres : le paradis perdu du communisme primitif calqué sur le motif de la promiscuité originaire (largement accrédité par de Vico et Bachofen) et le paradis promis de la société communiste, aboutissement et sens du progrès de l’humanité’ »146.

La Roumanie, de par sa la filiation avec la pensée communiste, se réclamera d’une production quasi religieuse similaire ayant pour paradigme la création de « l’homme nouveau », ‘« l’homme nouveau avec toute l’imagerie eschatologique qu’il entraînait a été un point central de la vision communiste, en général, et en occurrence, de l’obsession de Ceausescu »’ 147. Ce programme idéologique allait dès lors régir une grande partie des domaines de la vie du pays et notamment servir de philosophie à un principe de modernisation qui allait prendre le nom de « société socialiste multilatéralement développée ».

Notes
142.

Balandier G., Le pouvoir sur scènes. Ed. Balland, Paris, 1980, p. 19.

143.

Vasilescu S., op.cit, p. 16.

144.

Mihailescu V., « Snagov - trois mises en perspective de la systématisation » in Romanian Journal of Sociology, IV, 1993, Bucarest, p. 44.

145.

Mihailescu V., op.cit, p. 44.

146.

Ibid.

147.

Mihailescu V., op.cit, p. 44.