L’aménagement du territoire

Le projet de réorganisation territoriale inclut aussi bien l’espace rural que l’espace urbain. La systématisation dans ce cas a consisté a réorganiser le découpage administratif du pays en regroupant les unités villageoises en districts (judeti) formant ainsi des ensembles plus vastes. Les objectifs étaient de diminuer le nombre des villages et rationaliser la production industrielle et agricole au sein de ces districts. L’idée poursuivie par ce principe de modernisation était de supprimer l’espace rural composé d’unités villageoises dispersées qui formait presque l’intégralité du territoire roumain au profit de la création d’importants centres agro-industriels. En ce qui concerne l’espace rural, le programme de systématisation prévoyait la destruction de 7000 à 8 000 des 13 123 villages du pays. Les villes se sont multipliées passant de 128 en 1912, 152 en 1948, 237 en 1988 et 265 en 1989.

Le 4 mars 1971, au sujet du projet de systématisation, Ceausescu le présente en ces termes, « son projet », à la Conférence de l’Union des Architectes :

‘« Sur la base des décisions de la Conférence Nationale du parti, on est en train d’élaborer et de mettre au point les études d’aménagement des villages. Au cours de cette année il faudra réaliser les schémas orientatifs pour l’aménagement territorial des départements, des communes et des villages. L’un des objectifs essentiels de l’aménagement sera de créer dans chaque département de nouveaux centres urbains autour desquels viendraient graviter 4 ou 5 communes. En même temps on veillera à la concentration et à l’emploi le plus rationnel des bâtiments d’utilité socio-culturelle, à l’organisation de l’activité commerciale, sanitaire et culturelle-artistique au service de la population. En agissant fermement en ce sens, nous réussirons réellement à changer radicalement, dans les 10-15 ans à venir, la physionomie du village roumain. Parallèlement au développement des forces productives, à la modernisation de la production agricole, à l’intensification de toute la vie économique, culturelle et sociale des villages, l’aménagement rural doit contribuer à ce que graduellement la vie du village se rapproche de celle de la ville par l’élévation générale des conditions de vie de la paysannerie, de tous les habitants du milieu de vie rural. C’est là une condition essentielle pour la réalisation d’une société harmonieusement développée, à même d’offrir à tous les travailleurs des villes et des campagnes des possibilités égales de jouir des bienfaits de la civilisation moderne, de meilleures conditions de vie matérielles et spirituelles. C’est une condition fondamentale de l’édification de la société socialiste multilatéralement développée, du passage à la réalisation du communisme en Roumanie »156.’

La systématisation opérée par Nicolae Ceausescu, considérée comme l’élément central de « l’époque Ceausescu » était une idée qui préexistait à son arrivée au pouvoir en 1965.

La systématisation, tout en ayant connu des appellations différentes et des destinées distinctes, est un processus qui débuta dès l’arrivée des communistes pour s’achever en 1989.

La question de la planification de la répartition de la population sur le territoire fut considérée dès l’arrivée des communistes au pouvoir en 1945. En 1948, intervient la politique de collectivisation des terres. En 1960 est créé un Comité d’Etat pour la construction, l’architecture, et la systématisation. En 1964, débute « la systématisation des localités rurales » dont le but nous dit Stéphane Rosière est « ‘d’ajuster la répartition des populations rurales, trop dispersées, à la distribution nouvelle des exploitations agricoles »’ 157. Dès son élection en tant que Premier secrétaire du Comité Central du Parti communiste Roumain (PCR), Ceausescu crée la Commission centrale pour la systématisation des villages.

La « loi de systématisation du territoire et des localités urbaines et rurales » votée en 1974 est publiée dans le Journal Officiel du 1er novembre de la même année. L’article 1 présente les dispositions générales de cette politique d’aménagement : ‘« la systématisation a pour but l’organisation judicieuse du territoire du pays, des départements et communes, des localités urbaines et rurales, le zonage fonctionnel quant au mode d’utilisation du sol, l’établissement du régime de hauteur, de la densité des constructions, ainsi que de la densité des habitations, des espaces boisés et d’agrément, l’équipement en dotations socio-culturelles, en travaux technico-édilitaires et voie de communication et de transport, la conservation et l’amélioration de l’environnement, la mise en valeur des monuments historiques et d’art et des lieux historiques, l’accroissement de l’efficience économique et sociale des investissements et l’amélioration continuelle des conditions de travail, d’habitation et de loisirs pour toute la population. Par la systématisation on doit assurer la réduction au strict nécessaire des périmètres d’agglomération des localités, et l’utilisation optimale du sol qui représente une importante richesse nationale’ »158.

L’application du programme de systématisation revenait aux Conseils Populaires, délégués au niveau local de la Commission Centrale du Parti et de l’Etat, pour la systématisation du territoire et des localités urbaines et rurales. Cette commission avait une double tâche : celle d’orientation et de direction du programme de systématisation et, celle de contrôle auprès des commissions locales de systématisation. La systématisation concernait l’ensemble du territoire, or de manière pragmatique, elle fut appliquée inégalement. La région la plus touchée concerne les environs de Bucarest, comprenant les départements d’Ilfov et de Giurgiu, considérés comme une région pilote mais aussi principalement lieu de passage du couple Ceausescu. Parmi les localités, la commune de Snagov a fait l’objet d’une attention particulière puisqu’elle se trouvait sur la route que le couple empruntait régulièrement pour se rendre dans un château sur les bords du lac de Snagov159.

Cet exemple démontre une réalité qu’il ne faut pas sous-estimer concernant la relation qu’il faut établir entre l’avancement du programme de systématisation et l’implication personnelle du couple Ceausescu, au combien plus efficace que la loi et la commission d’orientation et de contrôle. Scornisesti, village dont est originaire Nicolae Ceausescu a été entièrement transformé en ville agro-industrielle et la seule maison qui a subsisté à la réorganisation fut celle où il naquit et fut elle transformée en musée.

Notes
156.

Recueil de discours de Nicolae Ceausescu : La Roumanie sur la voie de l’édification de la société socialiste multilatéralement développée. Juillet 1970-Mai 1971. Editions Méridiane, Bucarest, 1971.

157.

Rosière S., op.cit, p. 56.

158.

Buletinul Oficial al Republicii Socialiste Romania, Anul X, N° 135, vendredi 1er novembre 1974. « Loi de la systématisation du territoire et des localités urbaines et rurales ». Version française. A ce propos, il n’est pas surprenant de trouver une version française des textes de loi. Il semble que cela soit une subsistance de l’influence française qui marqua le XIXème siècle. Constantin C. Giurescu, dans son Histoire de Bucarest (Editions Sportives et Touristiques, Bucarest, 1976) nous fait remarquer que« Le français est devenue la langue de la haute société, remplaçant ainsi le grec si prisé du temps des Phanariotes ; on l’entend partout dans les salons, il est couramment employé dans la correspondance de la noblesse (...) Il en est de même pour le Buletinul Oficial ».

159.

A propos de la systématisation de la commune de Snagov, lire les articles de Chantal Deltenre-De-Bruycker. « Accéleration de l’histoire à Snagov, commune roumaine » in Etudes Rurales, janv-juin 1992, 125-126, pp. 117-119. « La bouche du village » in Journal des Anthropologues, 57-58, Automne-hiver 1994, AFA. « Les démolis de Snagov » in Communication : L’est : les mythes et les restes. n°55, 1992, Seuil. Nous aurons l’occasion de revenir sur la question des démolitions de maison dues à la systématisation dans la troisième partie de ce travail.