Cette première partie m’a a donné l’occasion de poser d’ores et déjà un ensemble de contextes dans lesquels s’inscrivent le Centre Civique.
Le contexte de l’intérêt que j’ai pu porter à cet objet à travers les quelques voyages entrepris à Bucarest. Ils ont été l’occasion de déplacer mon regard de la rivière Dîmbovita vers le nouveau centre administratif de la capitale.
Le contexte de la connaissance où la dimension architecturale et urbanistique de l’objet est appréhendée selon une perspective ethnologique qui le voit comme une manifestation culturelle d’une société à une époque donnée. Cette approche nous permettant d’éviter le piège d’une lecture trop simpliste et radicale qui voit dans la construction de ce lieu l’oeuvre, aujourd’hui posthume, d’un fou mégalomane. Or, ici le traitement de la monumentalité s’inscrit dans une filiation architecturale, qui de Versailles à Berlin en passant par la Corée du Nord et l’ex-URSS, investissent le gigantisme comme image ou signe d’un projet politique en construction.
Le contexte historique, enfin, et celui notamment de l’histoire de l’évolution de la ville de Bucarest. La construction du Centre Civique prend sa place dans une structure urbaine façonnée au fil du temps où les différentes époques ont laissé leurs empreintes sur la ville. Or, au regard de cette évolution de la ville qui, comme on vient de le voir, est calquée sur les différentes périodes historiques et politiques de la Roumanie, la zone du Centre Civique apparaît plutôt comme un îlot. C’est donc en ce sens que nous ne pouvons considérer le Centre Civique comme un acte remarquable.
Son érection a provoqué un certain traumatisme pour les Bucarestois. A l’époque de la construction, un collectif de six personnalités rédigeait une lettre à l’intention de Nicolae Ceausescu, La lettre des six adressée au Président Nicolae Ceausescu, dans laquelle ils manifestent au Président leur désapprobation sur la politique menée. Parmi les nombreux points soulevés, l’un d’entre eux concerne le chantier et les conditions de construction du Centre Civique. « ‘Le centre civique de Bucarest - un investissement qui s’élève à plusieurs milliards de lei, le plus important en Roumanie - ne possède pas de budget public. Il est donc bâti en violation de toutes les lois en vigueur réglementant les constructions et leur financement. Le coût de ces immenses bâtiments a par ailleurs triplé en raison des modifications, concernant tant l’architecture intérieure qu’extérieure, que chaque mois, vous imposez’ »187. La protestation des six n’y changea rien, mais elle nous révèle l’argumentation mis en avant pour dénoncer ce chantier. La construction en soi n’est pas remise en question, mais plutôt le procédé selon lequel le Centre Civique est une construction hors la loi dont les nombreuses modifications engendre un dépassement du coût déjà problématique. C’est donc bien dans la manière de construire que les opposants trouve matière à protester et non dans l’idée que la capitale soit dotée d’un Centre Civique. C’est peut-être là aussi que nous trouverons matière à donner du sens à la monumentalité de ce lieu.
Il y a diverses manières d’apprécier un objet, en l’occurrence architectural et urbanistique. Les bâtiments érigés dans leur enveloppe architecturale et esthétique rendent possible l’expression des sentiments d’adhésion ou de refus à leur sujet. Or l’histoire de la construction des bâtiments peut aussi nous instruire sur la manière dont ils sont perçus.
Les diverses expressions au sujet du Centre Civique s’attardent sur le traumatisme qu’il représente tant pour les Bucarestois que pour la ville, ville martyre d’un pouvoir totalitaire selon l’expression de Dana Harhoiu188.
‘Une cicatrice sur le visage d’un peuple guérit beaucoup plus facilement et beaucoup plus vite et mieux qu’une cicatrice sur la ville (un architecte interviewé)’Tout le propos du travail qui va suivre consiste justement de ne pas s’arrêter à la vision de la cicatrice, au constat du martyre, mais aux raisons de son apparition. Pour ce faire, et comme la lettre des six nous y enjoint, c’est à partir du processus de construction que nous allons tenter de comprendre ce qu’est réellement le centre civique de Bucarest. L’hypothèse accompagnant notre réflexion consiste à considérer la monumentalité non pas uniquement comme le résultat mais comme étant à l’origine du projet.
« La lettre des six adressée au Président Nicolae Ceausescu » est intégralement reprise dans Les Temps Modernes, 45ème année, janvier 1990, n°552, p. 43.
Op.Cit. p. 13.