Première lecture, les récits de construction

Toute architecture, bâtiment, édifice ou monument est une histoire qui a une histoire, sans vouloir jouer avec les mots. Pour suivre les règles de la narration et sans pour autant être un conte de fée, toute histoire commence par un début et se termine par une fin. Il en est de même pour un objet architectural qui s’inscrit dans un temps historique, politique et culturel donné. L’histoire du Centre Civique commence bien avant sa concrétisation effective en 1984. Comme on l’a déjà vu, d’un point de vue théorique, l’idée d’implanter dans le centre des villes roumaines un lieu réunissant les différentes fonctions de direction, revient à l’école de sociologie animée par Dimitri Gusti. A cette époque, l’implantation de centres civiques devait répondre à un objectif : moderniser le fonctionnement de gestion de l’Etat en regroupant ses institutions dans un seul et même lieu, produisant ainsi une centralité qui faciliterait leur accès aux usagers. Sur le versant opérationnel, des projets d’aménagement urbain considèrent et intègrent, selon leur point de vue, cette question de la modernisation. Dans ce contexte, la ville de Bucarest a fait l’objet d’un certain nombre de projets dans lesquels l’implantation d’un centre civique était énoncé. Il me semble important, voire nécessaire, de replacer l’actuel du Centre Civique dans un temps et un projet qui sont bien antérieurs à l’époque « Ceausescu ». Ceci nous permettra de le désacraliser et d’en extraire son essence.

Mais une histoire ne peut exister en dehors des protagonistes qu’elle implique. Deux groupes se côtoient pour que la narration soit possible. Le premier est composé d’un ou plusieurs narrateurs qui sont à l’origine de l’énonciation. Le second est celui du public vers qui est dirigé la narration. L’un et l’autre donnant corps au déroulement de la narration. Cette deuxième partie est l’occasion de se pencher sur l’histoire du Centre Civique, à travers le récit de plusieurs constructeurs, ceux-là mêmes qui ont donné corps à ce projet. Nous allons par conséquent aborder le quotidien de la construction de cet ensemble architectural à partir des récits énoncés par les architectes, décorateurs, ingénieurs ou directeurs d’instituts de construction. Ils ont, à travers leurs récits, ouvert quelques portes, donné les clefs d’une première lecture de cet espace.

Pour conclure ce propos méthodologique, il me semble nécessaire de relever toutes les implications méthodologiques que cette approche suppose. Au même titre que le nom donné à ce travail, l’ethnographie est le fil conducteur de la perspective méthodologique. Mon souhait d’aborder le quotidien de la construction s’est concrétiser dans la rencontre avec un certain nombre d’acteurs de cette construction. Au regard du nombre de personnes qui sont intervenues et des différents niveaux d’intervention que toute construction nécessite, j’ai voulu privilégier le discours d’un petit nombre d’entre eux au détriment d’une représentativité d’un phénomène. J’ai finalement rencontré assez peu de personnes par rapport au nombre conséquent qui a participé à l’entreprise de construction. Je n’ai vu certaines qu’une fois, d’autres plusieurs fois. Mais avec toutes, j’ai passé un long moment à essayer d’entrevoir le processus de construction. Ce souci permanent de donner la parole est aussi né d’une volonté de changer de perspective. Ce qui caractérisa la Roumanie de Ceausescu, est l’absence de liberté d’expression, entre autre droit. Concernant le Centre Civique, si information il y avait, elle provenait du régime ou des groupes autorisés à s’exprimer, toujours selon la ligne du Parti. Puis, à partir de décembre 1989, lorsqu’à nouveau il fut possible de s’exprimer, ce qui fut dit ou écrit sur le Centre Civique émanait encore une fois de personne extérieures au projet - journalistes, politiques, architectes. Jamais la parole n’avait été donnée aux principaux concernés, ceux qui ont vécus le chantier. Or c’est bien là que se trouvait mon intérêt pour un tel objet : dépasser ces paroles extérieures afin d’atteindre, sans média, le quotidien du chantier, ce qui représentait à mes yeux le sens de la démarche ethnologique.