3) Le système de construction

« Il imaginait alors avec volupté les futurs édifices : les ministères, les immeubles administratifs des grandes firmes allemandes, le nouvel Opéra, les hôtels de luxe et les palais de distraction. Je l’imitais volontier. Toutefois je plaçais la planification générale sur le même plan que les immeubles d’apparat. Hitler, non. La passion qu’il montrait pour les édifices promis à l’éternité l’empêchait de s’intéresser aux structures du trafic, aux zones d’urbanisation et aux espaces verts : la dimension sociale lui était totalement indifférente »204.
Albert Speer - Au coeur du III ème Reich

Il s’agit d’un système bicéphale qui répond au principe idéologique d’une distinction entre une architecture officielle et une architecture sociale. Augustin Ioan, dans son ouvrage Architecture et Pouvoir205 remarque « ‘qu’aux époques marquées par le totalitarisme nous avons une architecture a deux vitesses : le style officiel et les programmes sociaux’ »206. Cette tendance à sous-estimer les programmes sociaux tient au fait que la fonction de témoignage de l’architecture officielle est supérieure. Selon Augustin Ioan, « ‘l’identification de l’architecture comme un art-témoin a d’une part un caractère historique et d’autre part s’est concentrée seulement sur certains programmes, considérant représentatifs les édifices et monuments en éliminant ceux sociaux, spécialement les habitations ’»207. Nous retrouvons là une valeur qui fait l’essence du monument : la mnémotechnique, dont la fonction de témoignage acquiert une place essentielle dans « l’architecture officielle ».

Les pouvoirs totalitaires usent et abusent de cette valeur à des fins idéologiques. Ce pourrait être la raison pour laquelle : ‘« l’architecture sous les dictatures dissimule en elle même une fracture (plus prononcée si le totalitarisme est plus frappant) entre l’intérêt pour les édifices et les programmes sociaux, programmes dans lesquels le pouvoir ne s’investit pas ou seulement de manière marginale pour transmettre son idéologie’ »208. Ce principe idéologique se traduit concrètement dans la pratique par une mise en oeuvre qui opère la même distinction entre programmes officiels et programmes sociaux.

Notes
204.

Par l’insertion de ces citations issues de l’ouvrage d’Albert Speer, mon propos ne consiste pas à faire un parallèle ou une comparaison entre les idéologies véhiculée dans l’Allemagne d’Hitler et la Roumanie de Ceausescu, mais d’insister sur les similitudes que l’on peut trouver dans les processus de construction et sur le rôle dont l’architecture est investie.

205.

Ioan A, Arhitectura si Putere. Agerfilm S.R.L, Bucarest, 1995.

206.

Ibid, p. 76.

207.

Ibid, p. 76.

208.

Ibid, p. 76.