Le budget

« D’après le devis que nous avions établi, le stade de Nuremberg devait coûter de 200 à 250 millions de marks. Hitler accepta sans hésiter : « cela fait moins que deux navires de guerre de type Bismarck. Or, un cuirassé peut être détruit en un instant, ou au bout de dix ans n’est plus qu’un tas de ferrailles. Cet édifice lui, sera encore debout dans des centaines d’années. Evitez de répondre si le Ministre des Finances vous en demande le coût. Dites-lui qu’on a pas encore l’expérience de telles entreprises ».
Albert Speer - Au coeur du III ème Reich

Parmi les protestations officielles209 que souleva la construction du Centre Civique, il en est une qui concernait le budget ou pour être plus juste, l’absence de budget. Cette absence de clarté dans le financement du projet fit l’objet d’un point d’opposition exprimé dans La lettre des six adressée au Président Nicolae Ceausescu210.

La volonté de la part d’un régime politique de vouloir laisser les traces de la grandeur de son époque n’a pas de coût, ou plutôt un coût illimité, en dehors de toute règle financière.

D’une part, c’est un organisme issu directement de l’appareil politique qui fut mobilisé pour financer en partie le projet : Gospodaria de partid, pour les bâtiments officiels, puis, la manne financière fut directement inscrite au budget national, ce qui plaça la construction au même rang que les plus grands objectifs d’Etat :

‘« l’argent venait du parti, de Gospodaria de Partid. Ca c’était pour une partie de l’argent. Et d’autre part dans le budget national il y avait une partie pour la construction » (A. P, un décorateur).’

A tout point, l’organisation révèle la cohérence du système qui opère, jusque même dans le domaine des finances, une distinction nette entre architecture officielle et architecture sociale :

‘« pour les maisons et les immeubles construits pour le Comité Central, il n’y avait jamais de devis. On commençait puis, seulement ensuite on faisait un calcul du prix. Mais sans devis ni quelqu’un présent pour observer les dépassements. Cela n’existait pas » (M. C, ex-directeur d’institut).’

La construction est intervenue à une période où le régime avait la volonté de devenir autonome par rapport aux puissances occidentales. La direction suivie fut celle du remboursement des dettes extérieures, du maintien de la politique d’industrialisation et du refus de la clause de « la nation la plus défavorisée » octroyée par les Etats-Unis. Tous les revenus de l’Etat ont donc été mobilisés autour de ces deux objectifs : sur le plan international : l’autonomie financière, et sur le plan national : le continuation de la politique de systématisation.

‘« En parallèle, il y a eu une étape où Ceausescu a voulu payer les dettes extérieures. Tout ce que nos fabriques produisaient, il exportait absolument tout pour payer ces dettes. Et parallèlement, il construisait ce palais avec les revenus des exportations. Une grande partie des revenus passait dans la construction du Centre Civique et ce qui restait passait pour le payement des dettes » (M. S., architecte).’

Or, dans ce contexte de restrictions budgétaires, le chantier se poursuivait sans jamais être inquiété par des soucis de budget.

‘« l’argent ne manquait jamais. Jamais le chantier n’a été stoppé pour des raisons d’argent, de matériel ou d’équipe » (A.P., décorateur) ’

Le coût de la construction était calculé a posteriori et l’argent ne représentait jamais un problème pour la bonne marche du chantier. Les édifices d’Etat sont ceux qui ont le plus bénéficié de cette liberté financière, étant directement rattachés à Gospodaria de partid. Ce qui explique leur état d’avancement en 1989. Il est vrai que les bâtiments à caractère social n’ont pas connu le même rythme :

‘« L’institut avait un contrat avec la section Gospodaria de Partid pour rédiger le projet de la Maison du Peuple dont le montant s’élevait à plusieurs centaines de millions de lei. Au fur et à mesure que l’institut rédigeait et livrait le projet, elle recevait de l’argent dont une partie était pour les salaires » (M. C., ex-directeur d’institut). ’
Notes
209.

L’autre montée en puissance des opposants à propos de la construction du Centre Civique se fit à propos de la destruction des églises et monuments historiques.

210.

« La lettre des six au président Nicolae Ceausescu » in « Roumanie pour servir à l’histoire d’une libération » in Les Temps Modernes. Janvier 1990, n°522. Pp42-45.