L’esprit de record

« A l’origine de l’image qu’Hitler se faisait du Berlin qu’il voulait construire, il y a eu les Champs-Elysées avec leurs 2 kilomètres de long et leur Arc de Triomphe de 50 mètres de haut édifié par Napoléon 1er en 1805. De là venait aussi son idée d’un « Grand Arc » et sa conception de la largeur de l’avenue. « Les Champs-Elysées, disait-il ont 100 mètres de large. Notre avenue en aura en tout cas 20 mètres de plus ».Eric Michaud - Un art de l’éternité. L’image et le temps du national-socialisme.

La construction du Centre Civique devait mener la capitale sur les chemins de la modernisation, dans l’esprit du programme de « société socialiste multilatéralement développée ». Pour ce faire il fut déployé un savoir faire qui faisait appel aux dernières techniques ou qui nécessitait d’en inventer de nouvelles. La construction se révéla être exemplaire du point de vue des moyens techniques élaborés à son encontre. L’idée du record était omniprésente dans le projet.

Le chantier en lui-même représente un record dans l’ampleur des destructions et des constructions, dans sa durée et les ressources tant humaines que matérielles qu’il a mobilisées.

Comme l’indique les diverses comparaisons utilisées pour décrire le Palais du Peuple, il semble que le principe de modernisation ait été animé d’un principe de record. Si la capitale devait s’élever au rang de capitale moderne, elle devait prendre comme point de repère la plus renommée de toutes : Paris. Ainsi, l’avenue Victoria Socialismului devait être plus large de quelques centimètres que les Champs-Elysées. Si la construction devait se surpasser c’est parce que les dirigeants souffraient d’avoir une capitale qui ne se détachait pas du lot. Et pour y remédier, tous les moyens furent déployés. Ceausescu voulait pour sa capitale une destinée à la hauteur des plus grandes et pour cela, il lui fallait imaginer des constructions qui puissent remplir ce rôle. Les propos d’Hitler que nous rapporte Albert Speer démontrent cette volonté : « ‘Berlin est une grande ville, mais pas une métropole. Regarde Paris, la plus belle ville du monde, ou même Vienne. Voilà des villes qui ont une unité ! Mais Berlin n’est qu’un amas anarchique de maisons. Il faut que nous coiffions Paris et Vienne » répétait-il sans cesse au cours de nos nombreuses réunions de travail’ »213. Le recours aux références est un procédé éprouvé qui s’exprime le plus souvent en termes de comparaison entre ce qui est à construire et les bâtiments les plus prestigieux de l’histoire à travers le monde. Le record consiste souvent à dépasser d’une quantité infime - quelques centimètres, milliers de places - ce qui fut construit par les grands hommes et qui font la renommée des sites sur lesquels ils sont établis. L’objectif de construire plus grand que le plus prestigieux des bâtiments est souvent à l’origine des projets monumentaux. La démarche d’Hitler pour la construction du stade de Nuremberg relève de ce principe comme nous le rapporte les propos d’Albert Speer : « ‘ce stade devait pouvoir contenir, selon les indications d’Hitler, 400 000 spectateurs. Le monument qui dans l’histoire, pouvait offrir le meilleur point de comparaison, était le Circus Maximus, construit à Rome au premier siècle avant Jésus-Christ pour contenir 150 000 à 200 000 personnes, tandis que nos stades de l’époque avaient une contenance maximum de 100 000 personnes ». ’Encore une fois, il est souvent fait appel aux mêmes comparaisons pour légitimer le gigantisme d’une prochaine construction. La pyramide de Keops est une nouvelle fois utilisée dans les termes de la comparaison pour dicter les choix de l’ampleur d’une construction : « ‘la pyramide de Keops, bâtie en 2 500 avant Jésus-Christ a un volume 2 570 000 m3 pour 230 mètres de long sur 146 mètres de haut. Le stade de Nuremberg aurait fait 550 mètres de long sur 460 mètres de large et aurait inscrit dans sa construction un volume de 8 500 000 m3, c’est-à-dire en gros le triple de celui de la pyramide de Keops. Le stade devait être de loin l’édifice le plus important de tout cet ensemble et aussi l’un des plus formidables de l’histoire’ »214. A Bucarest, la logique du record a aussi présidé à la destinée de l’aménagement du nouveau quartier.

Notes
213.

Speer A. Au coeur du III ème Reich, Seuil, 1970.

214.

Speer A.