2) Le départ

L’attente

A partir de 1977, l’idée de construire un Centre Civique dans la zone se propaga. Le plan de systématisation fut médiatisé, le projet général rendu public. En revanche, tout au long de la période de démolition, la mise en oeuvre dans les quartiers et l’information des habitants restèrent plus obscures. Il commença par y avoir des rumeurs puis ces dernières se transformèrent en certitudes. Le quartier était dans le « viseur » pour cause de systématisation et construction d’un Centre Civique. Le mystère qui régnait autour de la construction, auquel s’ajoutait un manque d’informations, laissaient les habitants des quartiers dans un doute immense concernant leur avenir. Etaient-ils concernés ou non par le projet ? Résidaient-ils dans une zone à risques ? L’opacité du projet et de sa mise en oeuvre leur permettait difficilement de répondre à toutes ces questions.

‘« Premièrement on nous a dit que notre maison et encore deux ou trois autres villas ne sont pas dans le régime de démolition » (Adi.).’

A défaut de pouvoir compter sur les autorités, les habitants se calaient sur la vie et les transformations au jour le jour dans le quartier pour avoir une idée de l’avancée des travaux de démolition.

‘« La démolition avançait de tous les côtés avec une manière de faire très mystérieuse. Les propriétaires et les locataires étaient dans un embarras total et dans l’opacité de leur avenir » (M. S).’

Mis à l’écart du processus et des ces incidences sur leur avenir, chacun se réfèrait à n’importe quel signal, aussi ténu et indécis soit-il, pour tenter de se tenir au courant, en ayant recours à des informations plus ou moins officielles.

‘« Les autorités ont interdit les achats et les ventes entre différents propriétaires. C’était un signal » (M. S)’

Encore une fois le « système D » de l’information fonctionnait comme la principale ressource dont les habitants disposaient pour savoir. Si ce n’était pas un refus d’acte d’achat ou de vente qui mettait la puce à l’oreille, le signal était un refus officiel d’un permis de construire pour faire des travaux d’agrandissement de la maison.

‘« En 1977, les personnes qui voulaient réparer leur maison - pour rénover ou agrandir la maison, il était nécessaire d’avoir une autorisation de la municipalité - recevaient cette réponse de la part des autorités : « oui si vous voulez vous pouvez réparer votre maison mais on ne peut pas vous donnez l’autorisation ». Donc cela ne valait pas le coup d’investir pour effectuer des gros travaux. Jusqu’à la fin, on a vécu dans des maisons où on avait effectué des rénovations superficielles » (Ioana).’

Et puis un jour, à l’épreuve des faits, on ne pouvait que se résoudre à la constatation que le quartier avait de plus en plus l’allure d’un vaste chantier dans lequel il devenaient de plus en plus compliqué de maintenir un mode de vie habituel. Faute d’endroits appropriés, les marchés disparaissent alors qu’à cette époque ils représentaient, hormis les magasins d’Etat souvent désespérément vides, le seul moyen de se procurer quelques rares denrées de première nécessité. Et puis c’étaient les magasins qui disparaissent obligeant les habitants à de plus longs trajets pour trouver à s’approvisionner.

‘« Cela ne pouvait plus durer, on n’avait plus de magasin, on ne savait plus où acheter la nourriture, nous devions aller très loin. Les magasins ont disparu petit à petit, il en restait deux ou trois sur l’artère principale, l’avenue du 13 septembre et c’était un peu difficile. Les magasins ont commencé à disparaître quand ils ont commencé à démolir » (Antigona).’

L’incertitude pesait de manière plus forte, quant à la date de la démolition de sa maison ou de son immeuble, lorsque une fois prévenus, les habitants attendaient des années avant d’être contraints, effectivement, de déménager. Les incertitudes se nourrissaient au gré des transformations du quartier et de l’avancement des travaux, dans son entourage, laissant présager l’arrivée imminente des bulldozers.

‘« Et puis j’ai attendu encore six ans. En 1984 on a détruit la rue où j’habitais. Donc pendant six ans chaque automne ou chaque printemps je me demandais « est-ce que cela sera pour cette année ou pas ? ». On ne vous disait rien. On avait commencé du haut de la colline alors je voyais comment ça avance » (Liana).’