La répartition

Les autorités proposèrent aux résidents des solutions de relogement dans les quartiers périphériques de la ville, dans de grands ensembles de blocs, tous construits sur le modèle socialiste. Mais comme le souligne un ex-résident :

‘« on ne recevait pas l’équivalent ce que l’on avait remis mais un appartement dans un bloc » (M. S.)’

Pour obtenir ce nouveau logement, la « répartition » suivant le terme le plus souvent employé, il était nécessaire de fournir au préalable l’attestation donnant l’accord de la démolition de la maison.

‘« On nous appelait à la mairie, tous les habitants d’une rue dans une journée et nous devions signer une attestation pour dire que nous étions d’accord « d’être démolis ». Si nous ne signions pas, ils ne nous donnaient pas un autre appartement » (Antigona).’

Les autorités proposaient des variantes, au nombre de trois, qui donnaient la possibilité aux habitants de choisir le quartier. Les quartiers proposés se trouvaient tous en périphérie.

‘« On avait droit à trois variantes. Les variantes que l’on nous proposait étaient très mauvaises : loin du centre dans des quartiers de Tsiganes (...) Pour avoir quelque chose de mieux, il fallait soit payer soit connaître quelqu’un » (M. S.) ’

Les relations extrêmement conflictuelles que les Roumains entretiennent avec la population tsigane ont toujours constituées un frein important dans le choix d’un quartier, considérant comme pratiquement impossible de partager le voisinage avec « ces gens-là ». A cela s’ajoute une réticence liée à la situation ex-centrée des propositions de relogement. Pour tous les résidents rencontrés, déménager dans une autre partie de la ville constituait, à plus d’un titre, un vrai traumatisme qui les conduisait à refuser les propositions des autorités. Les quartiers périphériques proposés dans chacune des variantes était source de problèmes pour ceux qui ne pouvaient envisager de quitter le centre de la capitale.

‘« On nous a proposé Grîngas ou beaucoup d’autres endroits, mais tous beaucoup trop périphériques » (Adi).’

Les lieux de répartition se faisaient en fonction du quartier que l’on était sur le point de quitter, ce qui signifia que les résidents d’un même quartier avaient de fortes chances de se retrouver après le déménagement. Mais en aucun cas cela ne rassurait les futurs « démolis » qui contestaient tous la qualité d’habitation des nouveaux blocs, raison supplémentaire à leur manque d’enthousiasme face à l’inéluctable départ. Et pourtant les appartements dans les blocs offraient des normes de confort plus « modernes » que les maisons : chauffage central, sanitaires, etc. Mais ce qu’ils revendiquaient était la mauvaise qualité des finitions et l’exiguïté de l’espace, qu’ils mettaient en rapport avec la qualité du logement perdu.

‘« Ce devait être dans de nouveaux blocs, dans un quartier plus mauvais et c’était des constructions très mal faites. Tous dans le même secteur, dans le secteur cinq, on ne pouvait pas choisir » (Antigona).’

Ou bien

‘« Je ne voulais pas un nouveau bloc parce qu’ils sont très mal construits et les finitions sont détestables. C’est ce que j’ai vécu après avoir déménagé. Pendant dix ans, chaque année j’ai eu une inondation. Les canalisations se cassaient et l’eau entrait dans la maison. Les nouvelles maisons étaient misérablement finies » (Liana).’ ‘« La maison de Grîngas était tout à ‘fait’ neuve, mais les liaisons de l’installation n’étaient pas faites, et tout le sous-sol était quelque chose d’affreux, l’odeur insupportable et les moustiques » (Adi).’

Tous les moyens étaient bons pour échapper à la « répartition » et à ses inconvénients : quartiers périphériques, voisinage non désirable, appartement mal construits. De manière souterraine et non officielle, chacun tentait de mobiliser ses connaissances afin d’obtenir un meilleur logement : mieux placé ou plus grand. On faisait appel à toutes les personnes de son entourage qui avaient des postes élevés ou qui étaient bien placés pour modifier l’arbitraire d’une répartition.

‘« Pendant six ans, j’ai cherché tout le temps quelqu’un qui puisse m’aider, qui soit un grand « nomenklaturiste » pour avoir un studio parce que j’étais devenue veuve. Je voulais aller dans un tout autre quartier, en choisir un qui n’était pas dans le viseur et plus central. On pouvait vous jeter à la périphérie, je ne sais où » (Liana).’

Mais l’argument majeur du refus d’accepter ce que les autorités proposaient était l’éclatement de la « maisnie » et l’éparpillement des membres de la famille dans des logements différents et éloignés.

‘« J’ai dit « nous sommes quatre personnes » et ils ont dit « non vous n’êtes pas quatre personnes, officiellement vous êtes seulement deux, nous pouvons vous donner deux chambres, mais vous devez décider où vous allez » (Adi).’

Ou bien :

‘« C’était une grande maison, nous avions cinq chambres et nous étions cinq personnes : ma mère, son mari, moi et les deux enfants. Alors on nous aurait donné : une garçonnière pour ma mère et son mari ; moi et les deux enfants dans deux chambres » (Antigona).’