Les dédommagements

Chaque personne démolie avait le droit à un dédommagement dont la somme maximale était de 80 000 lei. Le dédommagement variait en fonction de la taille du logement mais n’outrepassait jamais la somme de 80 000 lei. Cette somme équivalait au prix d’une Dacia231 neuve ou d’un appartement de deux chambres. Or, bien souvent le rachat d’un logement - que l’on pouvait obtenir avec l’aide de personnes bien placées - nécessitait une somme bien plus importante.

Ainsi cette personne qui a dû payer 270 000 lei son nouvel appartement pour une surface diminuée de moitié.

Le dédommagement ne concerne que la maison et non le terrain. Les terrains sont propriétés de l’Etat depuis la politique de nationalisation des terres intervenue dès 1948. Afin de bien saisir les conditions et le climat qui règnait en 1984 et les attitudes qui pouvaient s’apparenter à de la résignation face à l’expropriation, il faut envisager la systématisation de la capitale et la construction du Centre Civique dans une perspective synchronique.

‘« Vous appréciez ces choses selon votre point de vue, vous êtes habitué avec le strict sens de la propriété, vous vous sentez propriétaire depuis la naissance. Nous ce sens de la propriété a été atténué au cours des années vécues sous un régime communiste. Ainsi, ce moment est passé de manière assez légère » (M. S)’

Il faut remonter à l’arrivée des communistes au pouvoir comme genèse et premier moment d’une rupture par rapport à la notion de propriété. 1945, la réforme agraire est le prélude à la collectivisation - modèle importé de l’Union Soviétique. Mars 1949 marque le début officiel de la politique de collectivisation dont le but recherché était la suppression de la propriété privée. Cette abolition devait « servir de processus égalisateur dans la paysannerie »232. Puis, en 1974 intervient la loi de systématisation du territoire roumain et la réorganisation de l’espace dans un but de modernisation du pays. Dix ans plus tard, l’aménagement du Centre Civique se réclamait de cette politique de systématisation, même si, et nous aurons l’occasion d’en discuter plus loin, l’intervention dans le coeur historique de la ville est à mettre sur le compte d’un projet qui s’écarte un peu de la politique de systématisation qui a touché le reste du pays. Quoi qu’il en soit, la collectivisation inaugura l’acte de dépossession de la propriété privée et pour les Bucarestois, la perte de la maison ne représentait que l’ultime résultat de cette politique à laquelle ils étaient déjà familiarisés. Même si la situation était difficile à accepter et le déménagement douloureux, ils n’en étaient pas moins à leur yeux la manifestation de la continuité d’une politique qui débuta avec

l’arrivée au pouvoir des communistes en Roumanie. Face à cette fatalité d’une réorganisation de l’espace qui venait maintenant toucher le coeur de la ville, les actes de résistance semblaient vains et non avenus.

Notes
231.

Dacia est le nom de la firme de construction automobile roumaine qui a racheté la licence de la RN19 à Renault et qui en a fait l’unique modèle de sa production.

232.

Masson D., « Roumanie : la « société socialiste multilatéralement développée » et sa paysannerie » in Paysans et nations d’Europe de l’est. p. 257.