IIIème PARTIE
GIGANTEXTE

« Y a-t-il du brouillard dans votre pays ? » En mettant un terme à ces notes sur les légendes, la question de Miguel Asturias, posée incidemment vingt-cinq ans plus tôt à une réception à Paris, sans doute oubliée sur le moment, comme c’est souvent le cas des grandes questions, condense tout le fond du problème.
Les légendes sont notre brouillard à nous. Le brouillard dont nous avons tellement besoin, nous tous, habitants de cette planète : tyrans et esclaves, bons et mauvais, heureux et tourmentés, libres et enchaînés, banquiers et pauvres hères, nobles, prostituées et assassins.
Nous en avons besoin parce que les vues et les faits de cet univers font trop peur à nos yeux et à notre conscience. Il leur faut un voile. De telle sorte que la vérité arrive jusqu’à nous brisée comme à travers un prisme. Sinon elle risquerait de détruire l’édifice fragile de nos âmes et de nos corps (...) Notre âme épouvantée d’elle-même créé sa propre défense. Sans cette cuirasse, elle serait nue et en détresse dans la nuit glaciale de l’univers.
Ismaïl Kadaré
La légende des légendes