Les rumeurs au sujet du Centre Civique ont pour thématique principale le monde de l’invisible à travers des récits sur les tunnels et les souterrains. Le monde du non visible donne à la rumeur une assise d’autant plus forte qu’il est impossible d’en vérifier la véracité sur le terrain. Le Centre Civique est une construction d’Etat qui s’ébauche dans le secret et l’interdiction du chantier, ce qui a pour effet de développer l’imaginaire sur les entrailles de sa construction. Quand il est difficile, voire impossible, d’approcher les parties visibles du chantier, l’imaginaire se déplace vers le magma de celui-ci. Pour Ismaïl Kadaré, le monde souterrain est bien le monde de tous les dangers, « ‘bien que les gens pour la plupart, feignent de craindre le ciel, la zone principale qui alimente toutes les peurs n’est pas l’univers céleste mais le monde souterrain »’ 248.
Le recours au monde de l’invisible peut opérer une distinction entre ceux qui en font partie et ceux qui en sont exclus. Il constitue un monde en soit non accessible au commun des mortels mais qui donne l’occasion, à ceux qui en ont la possibilité, de se déplacer, à partir de son centre, dans d’autres parties du monde souterrain grâce aux ramifications qu’il accueille.
La topographie du monde souterrain se décline sous la forme d’un plan étoilé où la Maison du Peuple se place au centre.
Le monde souterrain est l’image inversée du monde visible avec pratiquement les mêmes infrastructures qu’à la surface :
La métaphore des tunnels ou des réseaux souterrains fait apparaître l’image d’une construction tentaculaire qui ne cesse de se déployer au rythme des constructions. La réalité d’un chantier qui n’en finit plus et pour lequel il était prévu des extensions trouve sa résonance « rumorale » dans la métaphore de la tentacule. A l’image d’un organisme vivant qui pour se développer a besoin d’ingurgiter ce qui lui fait obstacle, le Centre Civique, dans les rumeurs qui le contient, absorbe sur son passage tout le passé historique de la capitale.
Par définition la rumeur se transmet de manière informelle. Mais encore une fois, elle acquiert d’autant plus de force qu’elle provient d’une personne plus ou moins intégrée au processus. Dans un contexte qui distingue ceux qui sont inclus et ceux qui sont exclus, la parole des « autorisés » acquiert un statut de parole officielle.
Ce n’est que lorsque le contexte se transforme que le démenti de la rumeur peut être effectif. Autre temps, autres rumeurs dirait-on lorsque le chef médiatique du Palais du Parlement249 dément à coup d’éléments techniques et rationnels les légendes qui sont rattachées à ce Palais. L’époque de l’après Ceausescu est marquée par une volonté d’ouverture et d’informations. Il s’agit de démystifier le Palais du Peuple au nom d’une transparence publique du bâtiment. L’appétit d’informations, auquel s’ajoute la nécessité d’en donner pour que le bâtiment connaisse une nouvelle destinée, doivent s’emparer des éléments du passé pour mieux les démentir.
Ou encore :
‘« Les légendes concernant ce bâtiment sont assez nombreuses et assez fantastiques. On disait même qu’il existe une ligne de métro du Palais à Otopeni250. C’est quelque chose d’impossible du point de vue technique et financier de faire 20 kilomètres de métro. Si vous connaissez un peu la topographie de la ville, il y a des lacs, il faut traverser dessous. Si ce n’est impossible c’est au moins très difficile » (chef du département médiatique). ’Symbole monumental du secret qui a sévi pendant des années, il a été dès les premiers jours de janvier 1990 ouvert au public. Aujourd’hui, l’accès public du bâtiment s’effectue par l’aile sud, anciennement destinée au Comité Central du Parti. Un Centre International de Conférence est chargé, entre autre, de l’accueil du public. Cinq à dix pour cent des 300 000 m2 sont réservés aux activités du Centre : organisation de conférences, d’expositions et accueil du public.
Dans le processus de narration, les tunnels ou les souterrains sont par essence secrets et réservés à une seule catégorie, « les gens haut placés ». On n’hésite pas à sacrifier les concepteurs pour préserver leur secret. Cette rumeur nous conduit vers le deuxième corpus.
‘« Il y a dedans des tunnels qui devaient rester tout à fait secrets. A la fin des travaux, si un architecte ou un ingénieur connaissaient les plans de cette partie là, il disparaissait, on le tuait. On devait pas savoir ce qu’il y a dedans. C’était le secret de la famille » (L).’Kadaré I., La légende des légendes. Flammarion, 1995, p.219.
La nouvelle appellation de la Maison du Peuple.
Banasea et Otopeni sont les deux aéroports de Bucarest.