Centre Civique bis

Enfin le dernier niveau d’interprétation des rumeurs met en avant la double construction de l’espace, ou plus précisément, la construction en parallèle de deux espaces. Le premier naît de la mise en oeuvre effective du chantier telle qu’on a pu l’aborder dans la partie consacrée à l’ethnographie de la construction. Le second espace émerge au travers des rumeurs. La rumeur joue ici le rôle d’un miroir qui dévoile un second Centre Civique qui s’édifie dans la circulation des rumeurs. La « monstruosité » paraît être le qualificatif adéquat pour décrire les procédés de construction et les résultats de ceux-ci, tels qu’ils apparaissent dans les rumeurs. Sacrifices, malédiction, souterrains et gestes destructeurs sont les éléments du récit qui président à l’édification de l’ensemble architectural « rumoral ». Les deux espaces s’érigent simultanément et chacun s’enrichit de la présence de l’autre. Le Palais du Peuple, tel qu’il existe dans l’espace urbain, est issu de l’articulation de ces deux espaces. Si la construction échappe, dans la réalité d’un chantier qui est interdit à tous, chacun est en mesure de se la réapproprier à travers l’adhésion à la rumeur et de son aptitude à la faire circuler dans un univers où échanger un mot plus haut que l’autre est considéré comme un délit. L’articulation des récits de construction et des récits autour de la construction concourent à produire un Palais du Peuple aux allures fantastiques. La réalité d’une construction monumentale qui se donne à voir est doublée d’une partie invisible tout aussi monumentale. La destruction d’une partie du centre historique de la capitale est liée à l’arbitraire des gestes destructeurs du dirigeant. La métaphore d’une bâtisse tentaculaire qui peut s’étendre à volonté, et en dépit des limites imposées par les conditions géo-morphologiques du terrain, renforce l’image destructrice d’une construction qui fait table rase des éléments du patrimoine urbain. Face à la quête de terrain, symbolisée par l’allégorie de la tentacule, les protestations des intellectuels n’ont qu’une incidence mineure. La malédiction vers laquelle le pays est entraîné à partir du début des années 80, est relayée sur le terrain par le choix d’un emplacement dont le passé révèle qu’il ne peut conduire ceux qui l’investissent qu’à une destinée fatalement violente.