II) 1ère LECTURE : LE FOND LEGENDAIRE

1) Au-delà de la simple rumeur

Bien que la rumeur soit une manifestation anecdotique d’une critique sociale, elle n’en est pas moins construite d’une manière singulière. Le propos qu’elle contient fait référence à une question d’actualité mais peut aussi être élaboré sur ce que certains auteurs nomment un fond anthropologique profond. En effet, certaines rumeurs peuvent, tout en servant la critique sociale, s’ancrer dans un univers culturel qui dépasse la simple question d’actualité : ‘« certaines rumeurs semblent beaucoup plus liées à des archétypes, tandis que d’autres sont plus à mettre en rapport avec l’actualité. Ainsi est-on en droit de se poser cette question : n’existerait-il pas des thèmes issus d’un imaginaire collectif, véritable patrimoine culturel au degré de consistance plus ou moins fort et au niveau d’inconscience plus ou moins profond ? Les uns s’apparenteraient à de véritables archétypes structurellement établis. Socle de permanences, ils renverraient aux peurs et aux angoisses les plus primitives de l’Homo sapiens et de ce fait nous introduiraient dans le domaine de l’anthropologie fondamentale ’»265. Jean-Bruno Renard distingue trois niveaux d’interprétation des types de récit que sont les légendes et rumeurs urbaines266. Du plus superficiel au plus profond. Le premier niveau, le niveau manifeste, fait apparaître le message explicite. En l’occurrence, les mystères liés à la construction du Centre Civique, qui se manifestent dans l’utilisation des images des tunnels et souterrains, ainsi que les avatars d’un chantier dont le responsable est le couple Ceausescu.

Le second niveau, le niveau profond sociologique, pointe la critique sociale sous-jacente aux récits. La critique est à l’encontre d’un dirigeant et de son projet. Les rumeurs sont accompagnées de désignations pour illustrer son geste : le « fou », « le génie des Carpathes, « l’oeuvre du fou » et pour désigner la manifestation de son geste : « le monstre », « la pieuvre », « l’horreur », « la boutique d’en haut ». La phraséologie sert la critique du projet. Une critique voilée, déguisée mais qui est néanmoins la manifestation d’un désaccord profond avec les bouleversements que produit la construction. Et enfin, le troisième niveau, le niveau profond anthropologique dont l’auteur nous dit qu’il est : « ‘celui de la résurgence de motifs folkloriques ou mythiques. En le comparant avec des récits anciens (légendes traditionnelles, anecdotes du passé, contes, mythes), le récit contemporain prend une dimension nouvelle. Il apparaît comme une modernisation, une rationalisation, ou parfois comme une continuation pure et simple, de motifs immémoriaux appartenant au patrimoine du folklore narratif de l’humanité’ 267.

Notes
265.

Paillar B., « L’écho de la rumeur » in Communication. Rumeurs et légendes contemporaines. N°52, 1990, Seuil, p.133.

266.

Renard J.N., Rumeurs et légendes urbaines. PUF, 1999.

267.

Ibid. p. 97.