Pour comprendre quel pourrait être le niveau anthropologique profond du peuple roumain, il faut revenir à Lucian Blaga, philosophe, et à ses réflexions concernant la « matrice stylistique » d’un peuple. Dans le cheminement de sa pensée, opposant culture majeure et culture mineure, il construit le concept de « matrice stylistique » qu’il présente ainsi : « ‘sous la couverture perméable de notre culture folklorique, qui a permis au cours des temps d’indéniables processus d’osmose, on trouve un noyau irradiant et consistant. C’est la matrice stylistique, inaliénable, de notre esprit ethnique’ »268.
Pour Lucian Blaga, cette matrice stylistique accompagne le peuple tout au long de son existence : « ‘(...)la matrice stylistique participe à la définition d’un peuple tout autant que le sang et le langage. Elle peut croître ou décroître, mais quand elle s’éteint, s’éteint aussi le peuple’ »269. Son oeuvre est consacrée à la recherche de cette matrice stylistique dans laquelle sont unies une ‘« tradition a-chronologique et la chronologie de la modernité ’»270. Blaga estime qu’elle est présente dans le paysage mental tant elle est contenue dans la pensée mythique. La matrice stylistique propre à un peuple ou à une culture façonne son identité et sa permanence. Elle est, selon les termes de l’auteur, ‘« notre portion d’éternité humaine’ »271. La matrice stylistique du peuple roumain s’exprime au travers d’un « roumanisme », fond spirituel qui donne lieu à une forme culturelle déterminée, entendu comme « ‘un patrimoine stylistique composé en partie de déterminants qui lui appartiennent exclusivement, en partie dans un rapport intime, de nature fonctionnelle et de dosage, de certains déterminants qui le dépassent’ »272. Les potentialités créatrices contenues dans ce « roumanisme » déterminent les contours de l’identité et forment « les coordonnées d’une spiritualité » du peuple roumain. La première de ces potentialités créatrices est composée, comme nous le dit l’auteur, « ‘d’un horizon spatial ondulé ’», c’est-à-dire l’expérience d’un espace qui connaît de l’ondulation du destin entre montées et descentes : « ‘où se suivent rythmiquement les collines de la confiance et les vallées de la résignation’ »273.
La matrice stylistique en tant que création a-historique est à rechercher dans la production mythique. Pour ce qui est du peuple roumain, deux productions relevant de la culture populaire, expriment au mieux ce paysage mental de la « roumanité » et reflète la matrice stylistique. Il s’agit de deux ballades populaires : la première se nomme la Miorita, et la seconde Maître Manole et le monastère d’Arges.
Blaga L., « L’espace mioritique » in Eloge du village roumain. Editons de l’aube, 1990, p. 42.
Ibid. pp.42-43.
Karnoouh. C., L’invention du peuple. Chroniques de Roumanie. Arcantère, 1990.
Blaga L., op.cit, p.42.
Ibid. p. 80.
Ibid. p. 80.