Mircea Eliade rappelle que les récits évoquant les sacrifices effectués dans le but d’une construction sont nombreux à travers le monde ou en Europe. En Estonie, en Ecosse, en Ukraine, en France, certaines constructions ont nécessité le sacrifice d’un être humain, et des récits identiques se retrouvent, sur tous les continents. Aucun n’a fait l’objet d’une production littéraire aussi importante qu’en Europe du sud-est. L’acte du sacrifice en tant que procédé nécessaire aux fins de transfigurer le simple objet en fondation animée est un autre point essentiel dans le scénario d’un mythe de construction : « ‘pour durer, une construction (maison, ouvrage technique, mais aussi oeuvre spirituelle) doit être animée, c’est-à-dire recevoir à la fois une vie et une âme. Le « transfert » de l’âme n’est possible que par la voie d’un sacrifice ; en d’autres termes, par une mort violente, on peut même dire que la victime poursuit son existence après la mort, non plus dans son corps physique, mais dans le nouveau corps - la construction - qu’elle a « animée » par son immolation ; on peut parler même d’un « corps architectonique » substitué au corps charnel’ »285. Mais au-delà, l’acte de sacrifice présent dans les mythes de construction renvoie, selon l’auteur, à une forme plus archétypale du sacrifice : ‘« vraisemblablement à un mythe cosmogonique, à savoir celui qui explique la création par la mise à mort d’un géant primorial (type Imir, Purusa, P’an-ku) : ses organes donnent naissance aux différentes régions cosmiques’ »286. Au-delà du simple fait d’animer une construction, le sacrifice, par la transfiguration qu’il suppose, permet de donner sens à la création d’un univers ou d’un monde. La création cosmogonique à partir de l’immolation constitue l’horizon mythique dans lequel prennent corps les mythes de construction. Dans ce sens, le mythe de construction, élaboré dans les légendes balkaniques, parce qu’il met en scène une immolation essentielle à la construction, est apparenté à cette forme originelle que l’on retrouve dans les mythes cosmogoniques.
Ibid, p. 178-179.
Ibid. p. 179.