Le choix du site

Selon les exégètes de cette ballade dans cette région de l’Europe, la version roumaine est la seule qui débute par la recherche d’un lieu propice à la construction, alors que dans les autres formes, l’action débute avec l’écroulement des murs. Le motif d’introduction a, à mon sens, une grande importance dans le déroulement de la légende tant il est signifiant au regard de sa conclusion. Avant d’entamer la construction, le Prince s’enquit d’un site propice pour accueillir sa future fondation. C’est par la voix d’un berger qu’un site est révélé au Prince et à ses maçons - ‘Si seigneur, j’ai vu des murs délaissés et non achevés. ’L’endroit proposé au Prince est déjà occupé par des ruines. Or les propos du berger sont agrémentés d’un motif supplémentaire - ‘mes chiens, quand le voient, hurlent et aboient, comme ils présentent la mort qui les hante.’ Ce motif introduit un élément non négligeable pour la suite de la légende et sa touche finale, la révélation du berger sur la morbidité qui habite le lieu pressenti, comme si ces ruines enfermaient une malédiction. Insensible aux propos du berger, le Prince trouve le lieu où il implantera son monastère. Il exhorte les maçons à édifier en ce lieu, « ‘mon beau monastère sans pareil sur terre’ », sous peine de les sacrifier.

Le choix d’un site qui accueille déjà des ruines est étrange dans la mesure où les lieux en ruines sont considérés, dans de nombreuses légendes, comme des lieux maudits par excellence. D’un point de vue mythologique et métaphysique, le choix d’un site constitue l’acte fondamental de situer l’action de l’homme au centre du monde répétant en cela l’acte initial de la création288.

Notes
288.

Eliade M., Commentaires sur la légende de Maître Manole. L’Herne, 1994.