III) 2ème LECTURE : LES RECITS MINERAUX

I - La sacralité

1- Espace sacré - espace profane

Sur la scène urbaine, le Centre Civique se dresse tel un décor donnant à voir une dramaturgie politique singulière. Celle-ci s’incarne à travers une mise en scène du lieu qui confère à l’institution un caractère sacré. L’ordre des choses, c’est-à-dire les objets ainsi distribués dans l’espace, les conditions de leur exposition concourent à produire la scénographie urbaine d’une sacralité politique.

Dans l’expérience religieuse, Mircea Eliade293 oppose espace sacré et espace profane. L’espace sacré est pour l’homme religieux un espace non homogène, qui contient des ruptures, qui est qualitativement différent du reste, ‘« il y a des portions d’espace qualitativement différentes des autres’ »294. Cette distinction qu’opère, la rupture dans l’homogénéité, est le facteur sacralisateur qui oppose espace sacré et espace profane. Il y a donc deux espaces qualitativement différents. Or cette distinction entre le sacré et le profane est constitutive, selon l’auteur et dans une pensée religieuse, de la création du monde. « ‘Disons tout de suite que l’expérience religieuse de la non homogénéité de l’espace constitue une expérience primordiale, homologable à une fondation du monde’ »295. La fondation du monde s’opère par l’intermédiaire de la rupture et la présence d’un espace différent qui manifeste un espace sacré : ‘« la manifestation du sacré fonde ontologiquement le monde’ »296. La cassure dans l’homogénéité révèle un centre, un point fixe, un repère à partir duquel il peut y avoir une orientation. En ce sens la sacralité fonde le monde.

A l’opposée, l’espace profane est un espace homogène dont aucune partie n’est distincte qualitativement, chacune des parties étant également neutre. Il résume ainsi cette distinction : « ‘la révélation d’un espace sacré permet d’obtenir un point fixe, de s’orienter dans l’homogénéité chaotique, de fonder le monde et de vivre réellement. Au contraire, l’expérience profane maintient l’homogénéité et donc la relativité de l’espace’ »297. La sacralité se manifeste grâce à l’aide d’un signe, une hiérophanie qui vise à distinguer qualitativement cet espace de l’homogénéité qui l’entoure.

Un signe, qu’il soit préalablement existant ou qu’il ait été provoqué par l’action de l’homme. Cette distinction entre espace sacré et espace profane renvoit à une autre distinction qu’il faut établir entre le chaos et l’ordre selon la conception traditionnelle du monde. Cette distinction fondamentale met en scène deux territoires distincts. L’un, le cosmos, dans lequel l’ordre règne car il est habité, il a subi l’expérience de la sacralisation qui le rend vivable. L’autre, le territoire du chaos, de l’inconnu qui se trouve au-delà des frontières de l’espace connu. L’espace devient « territoire de l’ordre » à partir de l’effectuation d’un rituel qui tend à le sacraliser : « ‘en l’occupant et surtout en s’installant, l’homme le transforme symboliquement en Cosmos par une répétition rituelle de la cosmogonie’ »298. La création du monde revient à l’homme qui, en s’y installant, y imprime une certaine organisation qui s’inspire d’un modèle, d’un exemple. Dans le cas des sociétés religieuses, le modèle est celui de la création de l’Univers par les Dieux. L’acte de création issu de la main de l’homme n’est que la répétition d’un geste divin.

Investir un espace n’est pas un acte anodin et exempt de significations. Il dépasse de loin le simple acte fonctionnel de se loger ou de loger les institutions qui gouvernent la société. En amont de l’acte d’habiter, l’organisation d’un lieu suppose un ordre selon lequel les choses peuvent prendre place. Cet ordre dévoile l’intention de création qui est à l’origine de l’acte d’investir un lieu : ‘« se situer dans un lieu, l’organiser, l’habiter, autant d’actions qui présupposent un choix existentiel : le choix de l’univers que l’on est prêt à assumer en le créant’ »299. L’acte d’habiter est porteur d’un sens plus profond qui consiste à instaurer une vision du monde décelable dans l’ordre des choses établies dans l’espace.

Notes
293.

Eliade M., Le sacré et le profane. Gallimard, 1965.

294.

Ibid. p.25.

295.

Ibid. p.25.

296.

Ibid. p.26.

297.

Ibid.p.27.

298.

Ibid. p.33.

299.

Ibid. p.36.