Le Centre Civique est l’expression minérale des rôles de Ceausescu - Président de la République Socialiste de Roumanie, Premier Secrétaire du Parti Communiste, Chef suprême des armées, guide spirituel de la nation roumaine. L’homme est partout. Dans le Palais du Peuple, en premier lieu, où toutes les activités et les fonctions de l’Etat sont centralisées : activité politique - Gouvernement et Conseil d’Etat -, idéologique - le Comité Central -, et administrative - les étages non nobles réservés à l’administration. Les trois corps de la bâtisse consacrés à la direction du pays jouxtent les appartements privés du couple, ainsi rien ne marque la séparation entre activités politiques et domaine privé.
L’omniprésence ne se cantonne pas uniquement au Palais du Peuple, mais à l’ensemble de la zone, les appendices de pouvoir étant disséminés dans tous les bâtiments. Le Palais des Sciences, quant à lui, est la version moins grandiloquente de cette expression du pouvoir réservée à Elena Ceausescu. La réputation d’Elena en tant « scientifique de renommée internationale » et son rôle dans la direction des affaires du pays, loin de n’être qu’une simple présence décorative, nécessitaient qu’un bâtiment lui soit entièrement réservé.
Le Centre Civique dans sa globalité exprime au mieux « l’époque Ceausescu », selon la phraséologie en vigueur, et transpire la présence du couple par tous ces recoins. Dans ces conditions quelles sont les possibilités de s’approprier un espace qui est déjà pleinement occupé ?
Mais l’omniprésence ne se cantonne pas uniquement à ce quartier. Il n’est pas rare que des voies de circulation soient réquisitionnées en attendant l’hypothétique passage d’une voiture officielle. Le quartier de Primavara327 (printemps) est interdit d’accès à toute personne n’y résidant pas. Le Palais de Cotroceni et son jardin proche du jardin botanique, apprécié par les enfants, est réquisitionné pour le couple et leurs hôtes d’honneur.
En dehors de Bucarest, le site de Snagov est la scène des déplacements et des séjours des membres du pouvoir. A Sinaia, ville d’eau et principale station de ski du pays, le château jusqu’alors ouvert aux visiteurs est, depuis le début des années 70, une résidence privé des Ceausescu. Le Palais Mogosoaia, situé à une dizaine de kilomètres de Bucarest, abritait un musée d’art féodal, il est réapproprié par le pouvoir.
Au détour de l’évocation de ces divers lieux émerge une géographie urbaine du pouvoir qui manifeste la privatisation de certains lieux auparavant destinés à un
usage public et détournés au profit de leur utilisation par un seul groupe. En plus des destructions massives (environ 15 000 bâtiments), les Bucarestois se voient de plus en plus dépossédés d’espaces, de lieux ou d’édifices de leur univers urbain. Au-delà, cette nouvelle géographie urbaine met en exergue la nouvelle nature de l’espace dans laquelle la hiérarchie sociale est bouleversée. Une partie du centre ville, détruit et réaffecté à un autre usage, est soustrait aux pratiques urbaines quotidiennes (circuler, habiter, se divertir) poussant les Bucarestois à se replier sur la périphérie, précisément là où on les a « répartis ». La construction du Centre Civique a engendré une destruction tout autant matérielle que symbolique des éléments qui rendent possible la communauté. Dans une centralité absolue, le Palais du Parlement trône dans un silence éloquent, dominant non seulement la ville mais aussi tous les rapports sociaux.
Ce quartier situé au nord de la ville dans lequel les Ceausescu possédaient une maison ainsi qu’une grande partie des membres de la Nomenklatura.