Monumentaliser la ville

L’opération d’édification du Centre Civique dans la capitale constitue un moment important dans l’histoire de l’aménagement de la ville et de la construction de lieux représentatifs de son histoire.

Or la ville n’en est pas à sa première expérience d’édification de lieux symboliques marquant un moment de sa modernisation. Le siècle passé a connu son époque de « monumentalisation de la ville » comme nous le rappelle Augustin Ioan340. De manière concomitante à la percée des grands boulevards, sont édifiés dans la ville des édifices prestigieux. L’Athénée Roumain, la Caisse d’Epargne, la Banque Nationale, le Palais Royal, la bibliothèque Carol Ier ou encore le cercle militaire, représentent autant de signes architecturaux de la modernisation de la ville. Le style architectural suit la tendance de l’époque marquée par une ouverture vers l’occident et notamment la culture française, à laquelle tous les bâtiments empruntent sa conception esthétique.

Tous ces nouveaux édifices ne sont distants les uns des autres d’environ quatre cent mètres sur le tracé de la Calea Victoriei. Alors que nous sommes à une époque de profonde mutation urbaine - destruction du bourg médiéval et de la trame historique -, l’implantation des nouveaux édifices respecte l’histoire urbaine et l’axe fondateur nord-sud. Dana Harhoiu voit dans cette localisation une volonté de rester fidèle à l’histoire de la ville : ‘« ceci est lié au prestige et à l’importance acquise au cours des temps historiques par Podul Mogosoaia, attributs qui empêchent toute désaffectation »’ 341. Les nouvelles implantations contribuent donc à moderniser la ville tout en respectant l’orientation historique initiale. En revanche, une rupture est opérée car presque tous les bâtiments prennent la place d’anciens monastères. Ainsi, l’Athénée s’élève sur l’emplacement de l’Evêché de Ramnic, le cercle militaire sur l’ancien site du monastère Sarindar, la Caisse d’Epargne en lieu et place de l’église Sfîntu Ioan cel Mare. Dana Harhoiu en déduit que : ‘« les emplacements anciens laissent en héritage une garantie de réussite aux nouveaux espaces urbains’ »342. Une autre interprétation du phénomène est possible qui conduit à penser que l’enjeu de la modernisation d’alors ne consistait pas à opérer une rupture fondamentale dans le tracé historique, mais au contraire de s’appuyer sur celui-ci pour renforcer, dans le cadre d’une filiation, la représentativité des nouveaux bâtiments et des institutions qu’ils abritaient. D’ailleurs, les Roumains ne s’y sont pas trompés, lorsqu’eux aussi se sont appuyés sur ce périmètre pour manifester leur mécontentement au régime de Ceausescu.

L’apparition d’une monumentalité dans la ville, tout comme la décision de construire un centre civique, ne représentent pas des initiatives architecturales innovantes et l’histoire, en nous les révélant, les situent plus dans une continuité urbaine que dans une rupture fondamentale. Or, malgré ces convergences de projets à quelques dizaines d’années d’intervalle, une divergence majeure persiste dans l’opération de 1984. Elle ne se situe pas au niveau du projet, de sa forme ou de son contenu, mais bien au niveau de son principe directeur.

Notes
340.

Ioan A., « Bucuresti : proiectul neterminat » in LA&I, Litere, Arte, Idei, supliment cultural, Cotidianul, n°33, Anul IV, 26 august 1996.

341.

Op.cit, p. 68.

342.

Ibid, p. 68.