Une construction unique

Bien que le projet du Centre Civique se réfère à une idée ancienne et qu’il adopte presque entièrement les principes du mémoire justificatif de 1935, il semble en beaucoup de points être une construction unique. Unique au regard des anciens projets, dans la mesure où il naît d’un contexte politique où les questions d’architecture et d’urbanisme n’ont plus le même statut. A la volonté de modernisation de la capitale, s’adjoint une visée idéologique qui transforme de manière radicale l’essence du projet.

Unique aussi quant à certains principes énoncés par Nicolae Ceausescu lui-même sur la manière de concevoir l’architecture en Roumanie. Dans le discours qu’il prononce à la Conférence de l’Union des Architecte le 4 mars 1977, il entreprend une critique de l’activité des architectes en dressant une liste de certaines lacunes à propos desquelles il dit :  « ‘à juste titre signalées de façon critique par l’opinion publique’ ». La lecture de certaines des tendances négatives de l’architecture roumaine peut nous éclairer sur l’ensemble qu’est le Centre Civique, plus particulièrement sur le bâtiment de la Maison du Peuple :

‘« A d’autres occasions déjà je me suis référé aux tendances à la mégalomanie se manifestant dans le domaine des constructions industrielles, à la « passion » pour des édifices de dimensions et de proportions non justifiées par les besoins fonctionnels réels, par les nécessités concrètes de l’activité productive. A existé et existe encore la tendance à parer les bâtiments industriels d’extérieurs coûteux faits à l’aide de matériaux chers, difficiles à obtenir, et dont la production n’a que faire (...) Il faut dire que l’inclination aux dimensions disproportionnées, la pratique d’un style architectural extravagant, coûteux, sont manifestées aussi dans le domaine des constructions socio-culturelles ».’ ‘ « Cependant, partant de ces impératifs, nous devons exclure des projets de construction tout ce qui est superflu, coûteux, non économique, tout ce qui penche à la mégalomanie à l’extravagance »

Il est vrai que le discours fut prononcé bien avant la réalisation de l’ensemble qui nous intéresse et que de surcroît, il oriente ces propos en direction de la réalisation de bâtiments industriels ou publics (logements, centres sociaux ou culturels). Mais il n’en demeure pas moins qu’au regard de ce panorama de critiques faites par Nicolae Ceausescu aux architectes roumains, et comparé à la réalisation de la systématisation dans la capitale, il apparaît que celle-ci n’est soumise à aucune règle ou loi édictées, même par le chef suprême du pays, mais qu’elle répond à un principe d’édification qui ne souffre aucune comparaison avec les autres réalisations du pays. La preuve en est, si nécessaire, ce rappel à l’ordre de Ceausescu aux architectes du pays.

Des niveaux interprétatifs successifs se superposent et donnent lieu à une représentation en multiples dimensions de ce Centre Civique. La construction d’Etat devient une source d’inspiration légendaire au travers des récits qui la concerne. La conjonction d’un univers légendaire et d’une imago mundi du pouvoir concorde dans un élan de production d’une sacralité. Une sacralité qui, à l’image de Versailles, érige la nouvelle construction comme le corps mystique de celui qui l’a initiée.

Mais je n’oserai m’arrêter sur cette belle lancée radiographique sans ajouter un nouveau échelon à cette échelle interprétative.