“ La transformation des villes [est] toujours en liaison avec une mutation économique ” [Bonnafous, Puel, 1983, 29] : même si elle n’est pas uniquement de nature économique [Lacour, Puissant, 1998 ; Peyrache, 1993], la métropolisation est largement corrélée aux réorganisations à l’oeuvre au sein des entreprises, en réponse aux évolutions de l'économie et du système productif [Alvergne, Coffey, 1997 ; Ministère de l’Equipement, DATAR, Commissariat Général au Plan, 1987 ; Puissant, 1997].
Historiquement, les villes sont le fruit de la préférence des populations et des activités économiques pour certains lieux spécifiques, dès lors que la production agricole a été en mesure de dégager des surplus. Ces lieux sont généralement privilégiés au départ pour des avantages précis, comme la présence d'un fleuve. C’est l'“ accident historique ” [Arthur, 1995], mis en valeur par P. Krugman [1991] dans un modèle simulant la dynamique de concentration des activités ayant à choisir entre deux régions. La croissance de la ville procède par la suite de mécanismes spécifiques qui entretiennent cette concentration. Il s'agit en particulier d'effets d'entraînements 4 amont et aval [Krugman, 1991] : les entreprises cherchent à desservir le marché le plus large possible ainsi qu'à être proches de leurs clients potentiels, de manière à diminuer l'impact du transport sur le coût du produit ; réciproquement, les clients apprécient d’avoir accès au plus vaste choix de biens, et de surcroît au meilleur prix. S'ajoutent à ces considérations relatives au marché et au niveau des coûts de transport un certain nombre d’avantages spécifiques liés à l’agglomération et désignés par la littérature économique sous le vocable d’externalités spatiales. Le concept d’économies externes a été formalisé par A. Marshall en 1920, mais A. Weber, dès 1909, avait introduit de telles forces de polarisation dans un modèle désormais célèbre de localisation de l’industrie [Fujita, Thisse, 1995]. “ Selon la définition la plus simple, les externalités spatiales désignent ce qui est extérieur à une firme mais joue (positivement ou négativement) sur son activité et sur ses résultats ” [Perrat, 1993, 510]. Depuis Scitovsky dans les années cinquante, on distingue traditionnellement entre les externalités pécuniaires et les externalités technologiques [Fujita, Thisse, 1995]. Les premières s’expriment au travers du marché, et jouent sur le prix des facteurs, tandis que les secondes traduisent l’existence de relations non marchandes qui influent sur l’efficacité des facteurs : elles s’incarnent par exemple à travers les opportunités de mobilité d'employés, détenant une compétence technologique spécifique, entre firmes spatialement proches, comme cela a été le cas récemment dans l’industrie informatique de Boston [Haas, 1995]. Les économies d’agglomération peuvent de surcroît être intra ou intersectorielles. Dans le premier cas, on parle d’externalités de type MAR (Marshall-Arrow-Romer), ou encore d’économies de localisation [Camagni, 1996 ; Lacour et al., 1998]. Dans le second cas, il s’agit d’externalités de type Jacobs, ou encore d’économies d’urbanisation : elles sont externes à l’industrie, mais internes au milieu d’implantation des entreprises, généralement un milieu urbain, dense et diversifié, qui favorise la diffusion, l’échange, la transmission des informations [Moulaert, Gallouj, 1993], mais aussi des innovations [Derycke, 1999].
Les mécanismes de la concentration peuvent en fait s'avérer très différents selon les époques : “ le besoin de proximité qui fonde les concentrations spatiales de cette fin du XXème siècle n'est pas forcément de la même nature que celui qui expliquait la ville du Moyen-Age, ou celle de la Renaissance ” [Huriot, 1998, 3]. Tout dépend de la nature des activités, et plus généralement du système productif en place.
A. Sallez [1993] montre ainsi que les relations entre les entreprises et les territoires sont caractérisées historiquement par quatre phases, la phase actuelle favorisant l’implantation métropolitaine. La première - l’ère de la dispersion - s’étend de la deuxième moitié du XVIIIème siècle aux environs de 1850. En présence de forts coûts de transport, les industries étaient fixées par la répartition spatiale des facteurs nécessaires à leur production : matières premières et voies de communications essentiellement, mais également main-d’oeuvre adéquate. L'arbitrage entre ces trois éléments a été formalisé par A. Weber [1909]. La deuxième phase - l’ère de la polarisation - s’est étendue approximativement de 1850 à 1955. Les progrès technologiques, notamment en matière de transport (chemin de fer, automobile) et de télécommunications (télégraphe, téléphone), ont rendu les industries plus mobiles, et les ont incitées à se rassembler dans les grandes villes. L’économie des territoires reposait alors sur quelques grandes firmes, qui assuraient emplois et commandes aux entreprises locales. La théorie des pôles de croissance de F. Perroux, formulée dans les années cinquante, repose directement sur cette logique. La troisième phase est l’ère de la Division Spatiale du Travail. L’entreprise était décomposée en fonctions élémentaires, chacune étant localisée selon ses intérêts propres. Ainsi, les fonctions requérant peu de qualifications étaient délocalisées vers les régions où les anciens ruraux assuraient une main-d’oeuvre peu onéreuse, tandis que les activités de conception et de contrôle demeuraient à Paris ou dans les très grandes villes. La phase actuelle est qualifiée par A. Sallez d’ère de la technopolisation. Elle s’appuie sur les formidables progrès de l’électronique et de l’informatique, sur la baisse considérable des coûts de transport [Bonnafous, 1995], et sur le fait que l’intérêt se porte désormais non plus sur les grands bassins de main-d’oeuvre peu qualifiée, mais bien au contraire sur les hautes qualifications. L’accès aux réseaux scientifiques, financiers et de partenariat est donc devenu primordial. En conséquence, “ le territoire entre désormais dans le jeu économique comme matrice d’organisation et d’interactions sociales, et non plus, d’abord, comme stock ou assemblage de ressources techniques ” [Veltz, 1996, 10]. Les métropoles sont tout particulièrement privilégiées parce qu’elles assurent une taille suffisante qui offre des garanties en termes de marché, mais aussi “ un choix suffisant de partenaires, de cadres, de locaux, de dessertes et d’informations ” [Sallez, Vérot, 1993, 151], ou encore des branchements aux réseaux nationaux et internationaux, bref des gages pour l’entreprise en termes de “ qualité ” de son environnement [Planque, 1995]. La concentration métropolitaine matérialise donc le passage d’une géographie des coûts à une géographie des compétences et de l’organisation [Veltz, 1993-b], ou en tout cas la superposition de ces deux géographies, car il semble que l’influence du coût des facteurs demeure importante [Planque, 1995]. Pour P. Veltz [1993-a et 1996], les métropoles sont finalement des territoires assuranciels, dans la mesure où elles offrent des garanties à long terme relativement à la disponibilité d’éléments stratégiques, et donc permettent aux entreprises d’espérer pouvoir s’adapter plus facilement aux chocs exogènes [Baumont, Huriot, 1997-a]. C’est pourquoi, si “ une ville peut connaître le déclin [...] en revanche, une métropole puisera dans sa propre diversité les éléments d’un renouveau réorientant son propre développement vers une nouvelle dynamique ” [Derycke, 1999, 9]. A bien des égards, le choix d’une localisation métropolitaine n’apparaît pas forcément comme le plus efficace, mais finalement comme le moins risqué [Veltz, 1993-a et 1993-b]. Car même si elles sont globalement plus chères que d’autres territoires, les métropoles permettent aux entreprises qui s’y implantent d’acquérir une meilleure compétitivité [Moomaw, 1988].
En présence de rendements croissants.