1. Les mécanismes de la concentration des services aux entreprises à la lumière des modèles

La localisation des services a traditionnellement été analysée à partir de deux grands modèles : celui de la base, fondé par H. Hoyt au milieu des années trente, et celui des places centrales, développé par W. Christaller et A. Lösch, dans les années trente et quarante [May, 1994-a].

Le premier distingue les activités basiques, qui exportent hors de leur territoire d’implantation, des activités induites, dépendantes de la demande locale. Selon ce modèle, la plupart des flux monétaires liés aux exportations sont redistribués aux ménages, sous forme notamment de salaires. Ces ménages ont besoin de services : ces derniers vont avoir tendance à s’implanter à proximité, à créer des emplois, et donc à participer à leur tour à l’augmentation de la demande locale [Illeris, 1994]. Le modèle considère ces services comme induits, économiquement mais également spatialement, leur localisation étant par hypothèse directement déterminée par celle des activités basiques, qui sont principalement les activités industrielles [Illeris, 1994]. Il ressort toutefois d’analyses récentes que les services aux entreprises consitituent pour la plupart des activités exportatrices [Beyers, Lindhal, 1996 ; Jouvaud, 1997], et qu'en outre la contrainte de proximité étroite entre prestataires et clients n’est pas nécessaire dans tous les cas [May, 1994].

Le second modèle a également des limites. Le schéma des places centrales analyse la localisation des différents types de services en fonction de l’étendue de l’aire de marché dont ils ont besoin pour fonctionner de façon rentable [Illeris, 1994]. Les services banals peuvent ainsi s’installer dans de petits territoires, dont l’aire de chalandise est limitée, contrairement à ceux qui sont rares, et qui ont besoin de desservir un espace beaucoup plus important. En outre, au sein même de chaque territoire, les services préfèrent se localiser au centre [Jayet, 1994]. Le modèle aboutit finalement à une structure hiérarchique de lieux centraux, ordonnés selon leur capacité à fournir la totalité ou seulement une partie de la gamme des services. Mis en place pour expliquer la localisation des services aux ménages, ce modèle est cependant lui aussi difficilement transposable aux services aux entreprises [Illeris, 1994], et convient plutôt aux services à la population [Léo, Philippe, 1993 ; May, 1994-c] ainsi qu’aux commerces [Coffey, Polèse, 1984 ; Mignot, 2000].

Les mécanismes de polarisation des services dans les villes, particulièrement dans les plus grandes, procèdent de l’existence de processus circulaires, plus précisément d’effets d’entraînements amont et aval [Fujita, Krugman, 1995]. Les entreprises manufacturières ont intérêt à s’implanter dans des villes offrant des services diversifiés, de façon à augmenter leur productivité, ce qui incite de nouvelles activités à s'implanter au même endroit. Cette agglomération induit en retour une progression de la demande en services, donc de nouvelles localisations, et finalement une diversification croissante du tissu économique urbain 14 .

Il est possible, dans une certaine mesure, d'établir un rapprochement entre ce type de raisonnement et ceux mis en oeuvre dans d’autres modèles, élaborés dans les années soixante, et visant à décomposer en étapes successives l’apparition des différentes catégories d'activités économiques dans les villes. Certains de ces modèles cherchent d'ailleurs à expliquer le passage de la ville à la métropole par l’apparition de fonctions spécifiques, notamment des services aux entreprises au cours de la dernière phase du processus [Derycke, 1999]. F. Martin distingue ainsi trois stades de développement urbain, en considérant les implantations de quatre types d’activités : les activités exportatrices de biens et de services (type A), qui sont à l’origine même de la ville, les activités d’exportation, attirées par les économies externes engendrées par la ville (type B1), les activités complémentaires des implantations déjà existantes (type B2), les activités publiques et privées spécifiques aux besoins des grandes agglomérations urbaines (type C), et enfin celles qui desservent les besoins ordinaires de la population (type D) [Derycke, 1982-b]. Dans une première étape, seules se développent des activités de type A, B2 et D. Une deuxième période se traduit par l’implantation d’activités de type A, B1, B2 et D. Enfin une troisième étape, par laquelle la ville devient métropole régionale, est constituée par le développement simultané de tous les types d’activité. Cela signifie que les activités de type C, spécifiques des grandes villes comme le sont justement les services aux entreprises, non seulement ne peuvent se développer qu’à partir d’un certain stade de “ maturité ”, mais surtout sont décisives dans le processus de métropolisation.

Notes
14.

Dans la mesure où l’on suppose dans cette catégorie de modèles, directement dérivé de celui de P. Krugman [1991], que chaque type de service est produit par une seule firme (modèle de concurrence monopolistique).