C. Le centre dans les modèles de localisation intraurbaine

Dans nombre de modèles traitant de l’organisation intraurbaine des localisations, postuler l’existence d’un tel centre, que l’on précise d’ailleurs ou non les raisons de sa formation, permet de se doter d’un principe d’agglomération des agents, que l’observation des villes rend en outre largement plausible.

Au milieu des années vingt, l'écologie urbaine a ainsi expliqué la ville monocentrique à partir de concepts empruntés aux sciences naturelles 23 . Pour E.W. Burgess, l’espace intraurbain se structure selon des cercles concentriques, du fait de la compétition entre les groupes sociaux : les plus défavorisés s’implantent au centre ou à proximité, et les plus aisés dans les zones résidentielles de la périphérie, schéma qui caractérise d’ailleurs correctement les villes des Etats-Unis [Baumont, Huriot, 1995], mais pas celles de l’Europe. Au début des années quarante, H. Hoyt ajoute à cette analyse l’attrait que peuvent conférer à certains quartiers les axes de transport : “ cela donne naissance à une ville organisée en secteurs se différenciant selon la distance prise à partir du centre ” [Baumont, Huriot, 1995, 11]. En économie urbaine, la plus célèbre série de modèles mettant en avant l’existence et l’importance d’un centre unique est sans nul doute celle de la Nouvelle Economie Urbaine (NEU). La majorité des auteurs traite de localisation résidentielle, mais certains, dont W. Alonso, prennent aussi en considération les entreprises [Huriot, 1994]. La NEU s'attache à déterminer le lieu d’implantation de chaque agent (entreprise et ménage) à l’intérieur de la ville, à partir du paradigme de Von Thünen 24 , et sur des bases microéconomiques [Baumont, Huriot, 1997-b] : le centre, appelé CBD (Central Business District), y est la transposition directe du centre du marché agricole de Von Thünen [Grimaud, 1988]. Le principe d’agglomération, constitué par ce centre unique, est contrebalancé par un principe de dispersion, qui procède de la concurrence pour l’usage du sol. Les agents arbitrent finalement entre les dépenses de sol et celles de transport de et vers ce CBD : “ en chaque lieu, un processus d’enchères alloue le sol à l’agent qui a la plus forte capacité à payer, ou, ce qui est équivalent, à l’usage qui dégage la plus forte rente ” [Baumont, Huriot, 1997-b, 100]. La valeur foncière décroît donc avec la distance au centre, et les localisations sont finalement distribuées selon des cercles concentriques autour du CBD [Derycke, 1982-b] (graphique I-1).

Graphique I-1 : Courbes de rente et utilisation du sol urbain
Graphique I-1 : Courbes de rente et utilisation du sol urbain

Même dans les modèles qui se sont par la suite intéressés à des configurations polycentriques, l’existence d’un centre historique, souvent désigné comme centre principal, est souvent un préalable. Ainsi, L.B. Lave, en 1970, toujours dans le cadre de la NEU, envisage le développement d’un ou plusieurs pôles périphériques du fait que l’augmentation de la congestion dans la ville monocentrique, corollaire de la croissance urbaine, réduit progressivement les avantages qu’ont les agents à s’agglomérer dans le seul CBD : à partir d’un certain seuil, il devient en fait plus avantageux de s’implanter ailleurs [Derycke, 1982-b]. Par ailleurs, nombre de modèles fondés sur la théorie économique de l’agglomération, c'est-à-dire prenant en compte comme forces de structuration de l’espace l’existence d’économies et de déséconomies d’agglomération [Boiteux, Huriot, 2000-b], soit préspécifient la localisation d’un centre principal [Richardson, 1988], soit montrent que le développement d’un tel centre dominant est un préalable nécessaire à l’apparition d’un ou plusieurs pôles en périphérie [Helsley, Sullivan, 1991]. K.E. Sasaki et S.I. Mun [1996] analysent ainsi les phases successives de développement d’un CBD puis d’un pôle en réponse à l’augmentation du nombre de résidents et d’entreprises au sein de la ville. Dans un premier temps, lorsque ce nombre est peu élevé, les entreprises choisissent de s’implanter à proximité du CBD, pour bénéficier d’économies d’agglomération qui se manifestent sous forme d’échanges d’informations avec les autres activités [Imai, 1982]. Dans un deuxième temps, un pôle se développe en réponse à la croissance de la ville, de manière à réduire le coût des déplacements pendulaires, car le modèle suppose que les travailleurs choisissent de s’implanter près de leur lieu d’emploi. Si la ville continue de croître, une troisième étape est constituée par la croissance simultanée du CBD et du pôle.

Notes
23.

C’est pourquoi on parle, à propos de ces modèles, d’écologie urbaine.

24.

J.H. Von Thünen, économiste allemand de la première partie du XIXème siècle, a formulé une théorie de la localisation agricole : il y explique comment, à travers un mécanisme de rentes foncières, les cultures se répartissent en cercles autour du lieu de marché [Huriot, 1994].