B. L’émergence de pôles en périphérie

Les pôles sont des zones de concentration spécifiques des activités économiques en dehors du centre historique. Cela signifie de façon concrète que, contrairement au modèle de W. Alonso, la décroissance des densités [Berroir, 1996-a et 1996-b] ou encore des valeurs foncières et fiscales [Lacour, 1996] en fonction de la distance au centre n’est plus assurée dans la ville multipolaire, puisqu'il existe une augmentation localisée de ces valeurs autour du ou des pôles [Sasaki, 1990 ; Zhang, Sasaki, 1997].

Les méthodes d'identification des pôles sont variées. Certains travaux, notamment ceux d’origine nord-américaine, se basent sur une formalisation mathématique poussée, et parfois un peu excessive. D’autres privilégient une approche plus qualitative, faisant la part belle à l’histoire de la ville et aux politiques d’aménagement, notamment à la mise en place des zones d’activités et des infrastructures de transport.

Le premier type de travaux prend appui sur un zonage précis de la ville. Les auteurs définissent une série de critères, relatifs en particulier au nombre ou à la densité d’emplois, et déterminent des seuils : dès lors qu'ils sont dépassés, le sous-espace urbain considéré est défini comme étant un pôle périphérique. J.F. McDonald [1987] estime que les meilleurs indicateurs en la matière sont la densité d’emplois 29 et le ratio entre l'emploi et la population, ce dernier permettant de révéler si le sous-espace est susceptible d'exercer un réel impact économique sur d’autres zones urbaines. L’auteur met en pratique cette méthode sur l’aire métropolitaine de Chicago pour l’année 1970, et détecte trois pôles périphériques : un sous-espace est considéré comme étant un pôle lorsque son critère de concentration (densité ou ratio emploi/population) dépasse celui des zones contiguës. Une telle méthode a cependant le défaut d’éliminer certaines zones caractérisées par de fortes concentrations, mais adjacentes, et à l’inverse de mettre en valeur celles qui ont un niveau de concentration moindre, mais sont isolées [Gaschet, 1999]. G. Giuliano et K.A. Small [1991], outre le même critère de densité, prennent en compte un nombre minimal d’emplois : ils déterminent ainsi vingt-neuf pôles dans la région de Los Angeles. Ces indicateurs sont repris par W.T. Bogart et W.C. Ferry [1999] qui, dans le cas de Cleaveland, concluent à l’existence de neuf pôles en 1990, dont la commune-centre, Cleaveland. J. Garreau [1991] prend quant à lui en compte deux paramètres pour identifier une “ edge city ” : une surface minimale et un nombre d’emplois supérieur à celui de la population. Par cette méthode, l’auteur détermine environ deux-cents “ edge cities ” aux Etats-Unis à la fin des années quatre-vingt. F. Gaschet [1999], dans la métropole bordelaise, définit deux critères : un nombre minimal de 2000 emplois par zone 30 , et un ratio emploi/population supérieur à un. Il identifie ainsi quinze zones de concentration spécifiques en dehors de l’hypercentre de Bordeaux. Le même auteur a également réalisé une analyse des cinquante plus grandes agglomérations urbaines françaises, selon une méthodologie quelque peu différente [Gaschet, 2000]. Le découpage des métropoles considérées est effectué au niveau communal, et les pôles sont identifiés sur la base de critères de densité et de taux de croissance des emplois sur la période 1976-1997 31 . L'existence de tels pôles périphériques est ainsi mise en évidence dans quarante-huit des cinquante agglomérations étudiées. Cependant, la part des emplois localisés dans ces pôles, et donc leur importance, apparaît très variable : elle est comprise en 1997 entre 3,8% (au Mans) et 32,3% (à Nancy). Elle est notamment de 19,3% à Paris, 18,3% à Lyon et 25,7% à Marseille. Enfin, A. Aguiléra-Bélanger et al. [1999] déterminent des pôles dans la métropole lyonnaise à partir d'éléments relatifs aux créations d’établissements sur la période 1993-1996 32 , dans des secteurs préalablement identifiés comme étant particulièrement dynamiques 33 , et qui appartiennent aux services aux entreprises et à certaines industries de haut niveau ou spécifiques à l'économie métropolitaine. Les pôles sont alors définis comme les communes (ou les regroupements de communes géographiquement proches) qui se sont montrées les plus attractives pour ces activités sur la période considérée.

Une limite inhérente à ce type d’approche est que le résultat dépend de façon très sensible d’une part du découpage initial, et d’autre part des seuils retenus pour les différents critères. Il en résulte qu'à l'intérieur du même espace métropolitain, le nombre de pôles peut varier, comme en témoignent les résultats de W.T. Bogart et W.C. Ferry [1999] à Cleaveland. Cela peut être un effet de la méthode employée, mais aussi provenir du fait que les études ne sont pas réalisées aux mêmes dates, et que les espaces évoluent nécessairement.

Un second type de travaux s’appuie sur une démarche moins mathématique, faisant plus amplement référence à l’histoire de la métropole considérée, ainsi qu’aux politiques d'aménagement mises en oeuvre sur plusieurs décennies. Ainsi, G. Pivo [1993], dans l’aire métropolitaine de Toronto, définit un pôle (“ cluster ”) comme un groupe d’au moins deux immeubles de bureaux séparés par une distance minimale, et situés hors du CBD. Dans les études présentées lors du colloque 34 “ Métropoles en déséquilibre ? , et qui concernent la plupart des grandes métropoles françaises, les auteurs repèrent les sous-espaces privilégiés de développement des métropoles considérées sans faire référence à des seuils minimaux, ni systématiquement à un pré-zonage, de sorte que les pôles peuvent être de taille très diverses : ainsi les pôles toulousains [Jalabert, Jaillet, 1993] et lyonnais [Bonneville, 1993] sont principalement constitués de communes de 20 000 à 40 000 habitants, voire de simples zones d’activités, tandis qu’à Marseille [Fellmann, Morel, 1993] ou encore à Lille [Cunat et al., 1993] les auteurs désignent comme pôles des communes de taille importante (Aix-en-Provence pour la métropole marseillaise, ou encore Roubaix à Lille). Dans la métropole parisienne, J. Cohen [1993] fonde son analyse sur l’évolution de la localisation des emplois dans les communes qui en comptent plus de cinq cents. L’auteur constate ainsi que les emplois les plus directement productifs sont repoussés aux limites de l'agglomération, alors que les emplois non directement productifs sont plus densément localisés au centre. Pour autant, la structure des implantations n’est pas exactement radioconcentrique, car il existe une forte dissymétrie entre le nord est et le sud ouest, renforcée par un glissement du centre vers l’ouest (sur La Défense notamment). Enfin, à Toulouse, J.-M. Zuliani [1996] analyse les concentrations ainsi que les spécialisations intramétropolitaines, et met de cette manière en évidence la structuration, en plusieurs points de la métropole, de pôles aux contenus d’activités homogènes, spécialisés soit dans l’industrie, soit dans les services supérieurs. Ce type d’approche autorise malgré tout moins aisément que le précédent la réalisation de comparaisons précises entre agglomérations.

A partir de ces réflexions, nous serons amenés, dans la deuxième partie de ce travail, à établir notre propre méthode d'identification de pôles au sein de la métropole lyonnaise.

Notes
29.

La densité d’emplois désigne le rapport entre le nombre d’emplois du sous-espace et sa surface totale.

30.

Sur la base d’un découpage infracommunal.

31.
Deux ratios sont en fait définis : Dik =
et Gik =
où, pour chaque aire urbaine, i désigne la commune, k représente l’aire urbaine, s correspond à l’ensemble de la périphérie de l’aire urbaine k considérée, E concerne l’emploi salarié, A indique la surface totale. Dik représente donc la densité d’emplois dans la commune i de l’aire urbaine k, et Gik compare la croissance des emplois entre 1976 et 1997 dans le commune i à celle de l’ensemble de la périphérie de l’aire urbaine k. Une commune i est alors considérée comme un pôle périphérique si Dik est 1,5 fois plus élevé que la valeur moyenne de l’ensemble des communes périphériques et Gik est supérieur ou égal à 1 [Gaschet, 2000].
32.

A partir de la base de données SIRENE (Système Informatique pour le Répertoire des Entreprises et des Etablissements) de l’INSEE au début de l’année 1996, et du travail réalisé par Economie et Humanisme et le Grand Lyon en 1996 sur l’identification des moteurs de l’économie lyonnaise.

33.

Dans le secteur secondaire, il s’agit de : édition et imprimerie, industrie du caoutchouc et du plastique, travail des métaux et mécanique, fabrication de machines et d’équipements, fabrication d’équipements et de composants électriques et électroniques. Dans le secteur tertiaire, ont été sélectionnés : activités informatiques, recherche et développement, activités juridiques, comptables et de conseil en gestion, architecture, ingénierie, études techniques, publicité.

34.

Qui s’est tenu à Lyon les 22 et 23 novembre 1990.